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Cette phrase, merveilleusement formulée, émane de Julos Beaucarne, un chanteur, conteur et poète d'exception. Je l'adopte pour inaugurer cette collection de récits qui ont été présentés, pour certain, sous leur forme originelle sur mes pages Facebook.
Les récits ont été en partie corrigés et abondés d'autres textes. D'autres images sont venues enrichir les premières illustrations. Celle-ci sont constituées de mes photographies associées à des représentations de fractales générées par mes soin. Un soupçon d'intelligence artificielles m'a permis de générer certaines images manquant à ma bibliothèque.
Je citerais encore Julos Beaucarne pour finir cette rapide introduction. Il a prononcé ces mots inspirants :
"Le voyageur ne prend qu'une direction ; le rêveur les prend toutes."
La pluie battait le tambour sur le tonneau de la cour. Rien ne donnait envie de sortir ni le croassement des grenouilles ni les traces dorées laissées par les escargots.
Ma grand-mère avait remis du bois dans la cuisinière et le froid de la nuit s'estompait peu à peu.
Emmitouflé sous une petite couverture, l'estomac rempli d'un grand bol de chocolat chaud, j'étais blotti dans un coin douillet de la pièce. J'attendais patiemment que la chaleur envahisse l'espace pour activer mes bras et mes jambes.
Quand mon corps accepta enfin de se déplier ma grand-mère était déjà sortie pour nourrir ses animaux. Je regrettais, sans conviction, de ne pas l'avoir accompagnée. Elle n'avait, de toute façon, pas besoin de moi. j'étais en vacances chez elle et je ne connaissais rien aux travaux de la ferme.
Je tournais en rond dans le petit espace laissé aux humains à l'intérieur de sa grande ferme. De temps à autre, je jetai un regard rapide par l'unique fenêtre de la pièce de vie. Je regardai passer les oiseaux. La pluie s'était arrêtée sans chasser un ciel gris de printemps. Les arbres appelaient le soleil en déployant leurs feuillages vert pomme et leurs pompons de fleurs roses.
Je venais régulièrement à la ferme. Depuis quelque temps j'avais repéré un petit escalier de meunier, très raide, placé dans le couloir froid qui sépare la pièce de vie de l'étable. je n'y avais, jusque là, pas prêté grande attention. J'avais l'interdiction d'y monter.
-"Tu pourrais tomber de l'escalier. On y place nos vieux outils, tu pourrais t'y faire du mal. Il n'y a rien pour toi la haut. Allez ! Ouste !"
Aujourd'hui, j'avais décidé d'y monter.
Grand-mère était affairée à la traite de la Blanche, une vache nerveuse qui bousculait régulièrement le seau de lait. La vieille, assise sur un tabouret à trois jambes, faisait attention à tous les mouvement de sa meilleure productrice. Elle tirait les pis en évitant habilement les coups de queues violents destinés principalement aux nombreuses mouches et moustiques de la ferme.
J'en profitais pour me glisser dans le froid couloir qui borde l'étable et poser le pied sur la première marche de l'échelle qui mène au grenier. Il me fallait éviter les bouteilles, outils et boites de conserve posés là et qui obstruaient le passage. La saveur de l'acte prohibé s'ajoutait au magnétisme de l'endroit. Il me fallait rester vigilent. L'escalier était raide et laissait s'enfuir des grincements de bois m'obligeant à redoubler de précaution pour accéder à l'étage.
Le grenier n'était pas trop sombre. Une lucarne laissait tomber le jour au pied d'un petit bureau. On y avait placé là une chaise et de vieux livres.
Pour le reste, je n'y voyais rien ou presque. Je devinais l'emplacement de quelques meubles abandonnés. Un coffre à moitié ouvert laissait entrevoir des tissus rongés aux mites ou ciselés par des dents de rats. Un rabot trainait sur le sol poussiéreux, de vieux marteaux, un balai sans poil, une casquette de militaire, un clairon et quelques bassines. Un vieux réveil bloqué sur 14h12.
Au dessus du bureau, sur une étagère poussiéreuse une chose attirait mon regard. Elle semblait plus lumineuse que la lucarne et expulsait en spirales des lumières douces et rassurantes.
Attirante comme un aimant, je m'en approchais à pas feutrés. Le plancher grinçait vraiment.
C'était une sorte de boule de cristal sans cristal, sans verre et sans support. Elle flottait au dessus de la planchette du rayonnage sans être suspendue ni maintenue sur les cotés. Elle m'intriguait beaucoup. J'approchais ma main vers l'objet lumineux.
J'étais en apnée, les recommandations de ma grand-mère revinrent aussitôt à mon esprit.
- "Tu pourrais te faire du mal !"
Je reculais ma main rapidement.
Après avoir repris mon souffle, mon désir était trop violent, j'avançais la main de nouveau, prudemment. La sphère bondit soudain vers moi. La surprise me fit reculer d'un pas provoquant la colère du plancher qui craqua de fort belle manière. J'ai cru qu'il allait s'effondrer.
Ma crainte ne fut que de courte durée. Elle se tenait là, au dessus de ma main gauche. Elle était comme un chat qui attend des caresses, douce et chaude mais sans ronron.
Mes yeux étaient hypnotisés par la douce lumière de la boule magique. Il s'y habituaient peu à peu. Je commençais à distinguer des images. D'abord floues, elles devinrent de plus en plus nettes.
La sphère était devenue immense, Elle emplissait maintenant tout l'espace. Il y avait, dedans, une nuit éclairée par des milliers d'étoiles, des racines semblant aspirer le ciel et, au milieu de cette forêt sombre, une clairière flamboyante.
Un animal se tenait là, timide. Il s'approchait à pattes lentes jusqu'au milieu de la trouée lumineuse. Il ressemblait à une biche mais en plus petit. Il n'avait pas de bois. Ce n'était ni un cerf ni un brocard. Après avoir frotté doucement mes yeux je reconnu plus certainement, à son pelage d'un brun roux, à sa face plutôt grise et sa courte queue blanchâtre qu'il s'agissait d'une chevrette. Son toupet blanc était baissé, signe que pour elle, il n'y avait aucun danger.
Elle tourna la tête vers moi et me dit :
-"Que fais tu là ? N'avais tu pas l'interdiction de venir ici ? Le monde du grenier ne t'a pas encore été donné en héritage.
- "Le monde du grenier ?" bégayais je, étonné de l'entendre parler.
- "Oui, le monde du grenier. Ici, ce n'est pas un endroit comme les autres. C'est un endroit magique réservé aux personnes qui savent rêver."
- "Mais, moi aussi je rêve. Je rêve toutes les nuits."
- "Alors, raconte moi ton dernier rêve", m'ordonna t'elle.
- "Je ne me rappelle plus ... enfin ... si. Il était question d'une fée qui exerçait sa magie dans une forêt délicieuse. Enfin, je crois ..."
- "Très bien. Ne m'en dit pas plus, je sais maintenant pourquoi tu es là. Assied toi sur la chaise du bureau, prend le grand livre et tourne les pages".
Après ces mots, la boule disparut me laissant là, seul, ahuri, comme un idiot.
La lumière de la lucarne éclairait de nouveau le petit bureau. Un gros livre y était posé là. Sa couverture s'ouvrit délicatement. Elle semblait me tendre les bras.
Je n'avais jamais vu de livre de ce genre et pourtant, à la bibliothèque municipale de la ville, j'avais vu toute sortes d'enluminures, des pages écrites avec soin, à la plume et à l'encre de chine, des dorures, des livres de dessins précieux, des textes à l'écriture tordue, aux caractères cyrilliques, des feuillets reliés de ficelles antiques ou de cuir raffiné. Ce livre là semblait sorti d'un conte de fée imaginé par un sorcier farfelu et validé par on ne sait quel dieu nordique.
Sa couverture était certainement réalisée en cuir d'autruche. Il restait d'ailleurs quelques traces de plumes. Elle était épaisse et finement cousue sur un support de bois fin aux arômes délicats. De nombreux caractères inconnus y étaient ciselés ainsi que des figures joyeuses d'elfes dansants. De minuscules pierres précieuses y étaient incrustée en voie lactée de scintillements colorés.
Son papier était délicat avec un toucher soyeux. Les bords n'étaient pas alignés mais les pages n'avaient jamais été cornées. Pas de trace d'usure mais un aspect poussiéreux. Chaque page était associée à un son, une musique particulière. Il suffisait de passer du recto au verso pour l'entendre. Plus vite on tournait la page et plus le son était fort ou rapide. Une page était dédiée au bruit du ruisseau, l'autre au boucan d'un volcan en éruption, au souffle du vent, au chant d'un oiseau. C'était drôle et délicieux.
L'enluminure des pages semblaient, elles, dessinées par un tatoueur médiéval. Elles étaient faites en plein et en délié avec pour thèmes les fleurs ou les serpents, les nuages et les éclairs, les arbres ou encore les ruisseaux. Il en sortait de temps à autre de jolis petits flash de lumière bleus.
Au milieu de l'ouvrage était placée une sorte de boussole qui éclaboussait la pièce de fractales lumineuses. Etrangement, elle me faisait penser aux capteurs de rêves qu'utilisent certaines cultures amérindiennes. Elle se déplaçait à chaque fois que je tournais les pages me montrant les décors délicieux qui accompagnent les récits de l'ouvrage.
Il était une fois. Voilà comment je pensait que s'entame les belles histoires. J'y mettais de beaux ingrédients :
C'est avec cette conception que j'ouvre le livre magique à la page une. L'histoire commence.
Dans le pays des fées et des sorcières, où la magie se mêle à la nature, un phénomène inhabituel perturbe la quiétude de la région. Chaque année, la température augmentait légèrement, mais cette fois-ci, quelque chose d'extraordinaire était en train de se produire. L'été s'annonçait avec une chaleur accablante, bien au-delà de ce que les habitants avaient jamais connu.
Les fées, d'habitude occupées à danser dans les rayons de soleil et à soigner les fleurs, étaient perplexes. Les ruisseaux qui alimentaient les forêts commençaient à se tarir, et les pétales des fleurs scintillaient de détresse. Même les arbres semblaient affaiblis. Les chênes centenaires voyaient leurs feuillages se flétrir sous l'implacable chaleur dégagée par l'étoile de notre système solaire.
La grande assemblée des créatures magiques fut convoquée pour discuter de cette situation préoccupante. Il y avait, bien sur, des fées mais aussi des lutins, des farfadets, des magiciens, magiciennes et autres druides et druidesses venus de toute la contrée.
Parmi les participants se trouvait une jeune fille curieuse et courageuse. Elle écouta les témoignages rapportés par les fées venues de tous les horizons : l'histoires des oiseaux migrateurs qui avaient perdu leur chemin à cause de la chaleur intense, le risque de disparition dramatique des papillons de hautes montagne qui ne trouvaient plus leurs espaces de fraîcheur, l'arrivée en nombre des insectes ravageurs qui mettaient fin au travail laborieux des paysans et bien d'autres dépositions.
Alors que la réunion touchait à sa fin et que les fées ne trouvaient aucune solution, la jeune fille prit la parole :
-"Peut-être que vous pourriez utiliser la magie pour inverser cette tendance. Vous pourriez chercher l'aide des anciennes sorcières qui ont une profonde compréhension des forces de la nature."
La proposition de la jeune fille fut d'abord accueillie par des murmures étonnés. Que faisait une jeune fille dans cette assemblée ? N'y avait-on pas convoqué que les êtres magiques ? Mais rapidement l'approbation pris le dessus des chuchotements. Il n'y avait pas le choix.
Une délégation fut désignée pour se rendre chez les sorcières.
La jeune fille vivait une existence simple et en harmonie avec la nature dans une cabane de pierres sèches, nichée à flanc de montagne.
Humble dans sa construction, la cabane était un refuge où la jeune fille avait choisi de s'installer, loin de la vie fastueuse du palais qui l'avait vu naître.
Chassés par un roi très autoritaire, ses parents étaient parti du château avant qu'elle n'eut ses deux ans. Ils étaient resté discrets sur leurs origines princiers car la population était exaspérée du monarque qui régentait alors la contrée.
Bâtie sans mortier, la cabane reflétait l'ingéniosité de ceux qui l'avaient érigée. Les pierres brutes utilisées pour édifier les murs avaient été rassemblées à proximité conférant à l'abri une impression d'ancrage profond dans la terre qui l'entourait. Conçue par un savoir-faire paysan, la cabane possédait une beauté organique, une esthétique naturelle produite de la fusion de l'homme et de la nature. Les irrégularités des pierres, leur texture brute et leur agencement s'intégraient naturellement dans le paysage montagneux
Chaque matin, la jeune femme se réveillait au doux chant des oiseaux. Ses journées étaient rythmées par les cycles de la nature. Elle se rendait régulièrement dans l'espace qu'elle avait aménagé pour la cuisine et la toilette. Les étagères étaient remplies de simples ustensiles et le foyer était utilisé pour cuisiner des repas modestes à partir d'ingrédients cultivés dans un petit jardin à proximité. Avec la chaleur de l'été, elle y allait pour se rafraîchir le visage. Il y avait là une petite vasque de pierre où s'écoulait lentement l'eau fraiche captée d'une source de montagne.
La source qui alimentait la vasque était, pour elle, un trésor. Elle représentait bien plus qu'un simple filet d'eau. C'était un lien avec la montagne, avec les racines profondes de la terre. Cette source, qui coulait habituellement de manière constante et pure, symbolisait, pour elle, la persévérance et la vitalité. Chaque goutte qui s'écoulait rappelait à la princesse la nécessité de protéger et de préserver la beauté fragile de son environnement. Mais, depuis quelques temps, la source coulait moins drue.
Ce soir là, revenue de l'assemblée des créatures magiques, la princesse était assise près de l'unique fenêtre de la cabane regardant le coucher du soleil sur les montagnes. Les couleurs chaudes du crépuscule se mêlaient aux ombres noires s'étendant lentement sur la vallée en contrebas.
Elle laissa s'échapper un long soupir, espérant que les fées réussissent à convaincre les sorcières. Il fallait inverser la montée inexorable de la température dans la contrée.
Alors que je tournais la page du livre mystérieux, je constatais que l'auteur avait oublié de me faire le récit du roi et de la sorcière. Il me transporta plutôt vers une forêt ensorcelée, où le vent créait une rengaine en effleurant les feuilles. Elles résonnaient comme un chuchotement de foule avant le début d'une grande symphonie.
À quelques pas de là, un ruisseau enjoué ajoutait sa note aiguë à la symphonie du vent. Tout était limpide et magnifique. L'enchantement qui régnait était palpable. La lumière douce semblait irradier depuis l'extrémité du sentier serpentant à travers les diverses essences végétales. Certains arbres se dressaient droits, d'autres arboraient des courbes gracieuses. Il y en avait également des tordus et des noueux. Certains portaient encore les vestiges de fleurs printanières, tandis que d'autres, plus modestes, s'étendaient au sol sous forme de tapis verts.
Cette clarté délicieuse attira deux enfants, deux petites filles apprêtées pour la nuit mais que la musique du vent empêchait de dormir. Elles contemplent l'artifice lumineux en se laissant imprégner des respirations du vent, de la voix aigüe du ruisseau et du passage furtif des animaux.
Elles n'ont pas peur, depuis longtemps elles ne croient plus que les loups sont méchants et que les sangliers sont inhumains. Elles avaient catégoriquement refusé d'explorer les histoires, même romancées, ayant trait aux animaux méchants. Elles avaient déjà croisé, même si c'était bien trop rare à leur goût, une famille de blaireau, le renard et l'écureuil roux.
Patiemment, elles attendaient que ces êtres familiers se montrent au sein de cette lueur enchantée.
Je poursuis mon exploration de la page suivante avec d'infimes précautions. Les fillettes sont toujours là. Elles se tiennent, discrètes, à la bordure du livre.
Divers sons atteignent leurs oreilles. Le chant du ruisseau leur est familier. Elles l'ont déjà entendu sur les premières pages du livre. Néanmoins, une résonnance les intriguait plus que les autres. Un son similaire à celui produit lorsqu'on souffle légèrement sur le bord d'une feuille de papier.
Je suis surpris. Il s'agit d'un feulement. J'arrête de tourner la page et la protestation du félin cesse. Je reprends mon mouvement. Fffffh ! Le signal d'un grand chat dérangé reprend fortement, s'estompant finalement une fois le livre totalement ouvert.
Deux grands yeux de lynx me regardent puis observent les fillettes. Le grand chat sauvage se tient là, au pied de plantes exotiques. C'est un animal fantôme, une créature qu'elles n'avaient jamais eu la chance de croiser en pleine liberté. Pourtant, dans ce livre féérique, il est là, présent à proximité d'un ruisseau enchanteur. Le lynx vient s'y désaltérer régulièrement. Il sait que les menthes poivrées y trempent souvent leurs feuillages en y déposant une empreinte rafraîchissante.
La présence des petits bouts de femme à l'orée des pages du livre, l'a surpris. Il n'est pas habitué à voir des enfants dans cet ouvrage. Ce prédateur précieux pour nos forêts évite généralement la présence humaine mais il a deviné que les deux petites filles sont des personnalités fabuleuses. De leur coté, les deux fillettes savent que cet être discret ne leur causera aucun mal.
Le lynx leur dit :
- "Bonjour mes petites fées, que faites vous là ?"
- "Bonjour le lynx. Nous sommes mandatées par l'assemblée des créatures magiques d'aller à la rencontre des sorcières. Il fait de plus en plus chaud sur notre territoire. Il faut, avant qu'il ne soit trop tard, inverser cette triste tendance."
Le lynx exprima, à regret, son sentiment d'une voix basse :
- "Je ne suis pas sûr que les sorcières puissent faire grand chose pour vous. Je vous conseille plutôt de rencontrer Elan majestueux."
Fières d'avoir été identifiées par le lynx, les petites fées écoutent ses conseils et poursuivirent un bout de leur chemin. Enfin fatiguées, elles s'allongent sur une mousse pour rêver dans les bras de Morphée, un des mille enfants d'Hypnos, le dieu du sommeil.
La page suivante du livre me paraît étrange et semble ne pas continuer l'histoire précédente. Elle me présente un champignon.
Il émerge avec une grâce singulière d'un vieux bois mort comme s'il était le fruit d'une alliance intime entre la nature et le temps. Son pied, unique et d'une teinte blanche légèrement veinée, s'enfonce dans le bois mou. Il est solidement ancré à la branche qui l'a fait naître.
Son chapeau lisse, d'un éclat délicat est le point central de son charme mystique. Il semble avoir capturé un fragment du ciel. Sa surface nacrée, à peine altérée par des nuances discrètes, reflète les tonalités changeantes de la lumière filtrée à travers la canopée. Les rayons du soleil, en perçant les feuillages mouvants, le faisaient scintiller tel un joyau terrestre.
Des lignes délicates parcouraient le chapeau, comme une cascade miniature dessinée par la main habile de la nature. Elles révélaient des secrets insoupçonnés, des récits tissés autrefois dans les fibres du vieux chêne.
Des mousses brodaient un tapis vert luxuriant autour du champignon. Elles créaient un écrin d'une douceur infinie. L'environnement semblait s'être adapté pour accueillir avec grâce cette pousse étonnante, offrant au champignon une scène où il pouvait se déployer en toute quiétude.
Bien qu'apparemment simple, le champignon portait en lui une aura d'énigme et de magie, comme si son existence était une métaphore des mystères enchanteurs que recèle la nature. Dans cet univers où la beauté et le mystère s'entrelacent, il demeurait un rébus délicat, une œuvre d'art éphémère érigée par les doigts invisibles de la vie.
Quelques arbres, plus jeunes, étaient agenouillés au pied du vieux chêne terrassé par l'âge. Regardent ils le champignon, fossoyeur du bois mort avec mélancolie, ou bien prient ils pour indiquer au chêne une voie plus rapide vers le paradis des êtres de la forêt ?
Nul ne le saura à part deux mouches confidentes installées là pour contempler la lueur magique du sous-bois.
Elles ont aperçues deux petites filles qui vont passer la nuit installées sur le tapis de mousse. L'une disait à l'autre :
- "Peut importe ce que nous a dit le lynx, nous irons voir les sorcières."
- "Chut, soeurette ! On verra ça demain, écoute plutôt la berceuse du vent et du ruisseau."
Rien ne bougeait dans ce paysage étouffant. La température avait encore monté d'un cran. Les arbres accrochaient le soleil, les orages tonnaient, la foudre ajoutait des éclairs de lumière. Le vent ne soufflait quasiment pas et lorsqu'il prenait la peine de s'animer, il s'apparentait à un sèche cheveux réglé sur la température la plus haute.
Ce n'était pas l'été qui avait pris place, mais plutôt la lave en fusion provenant de tous les volcans de la terre, un feu qui semblait jaillir des abîmes infernaux.
Cisor, était une sorcière qui élevait des oiseaux, mi-corbeaux, mi-rapaces spécialisés dans la livraison de messages entre le monde des humains et le monde des esprits. Elle était isolée des autres sorcières qui ne supportaient pas le criaillement de ses volatiles.
Avec la montée des températures, elle était restée cloîtrée dans la tour obscure et ténébreuse qui lui servait de demeure. Habituellement impitoyable, elle n'avait pas eu la cruauté de garder enfermés ses messagers ailés. D'une manière inaccoutumée, elle avait choisi de les libérer. Les sombres cages de fer où les oiseaux étaient confinés avaient marqué leurs pattes qui brûlaient encore sous l'empreinte de leur geôle de métal.
La sorcière, accablée par la chaleur partageait le même calvaire que la princesse et les créatures magiques, tous en proie à cette fournaise implacable.
Ce matin là, Cisor entendit frapper à la grande porte de la tour. Elle se précipita vers une lucarne discrète pour jeter un coup d'œil. Au début, la sorcière ne reconnut pas les deux petites fées désignées par l'assemblée des créatures magiques, Les fillettes ne portaient pas leurs ailes. Cela la rendit hésitante à ouvrir.
-"S'il vous plaît, Cisor, faites nous entrer dans votre tour fraiche. Dehors, il fait vraiment trop chaud. Nous avons un message à transmettre à l'assemblée des sorcières"
La sorcière, ne ressentait aucune envie cruelle ce jour-là. De plus, les fillettes connaissaient son nom, elle en était touchée. Elle décida d'ouvrir le portail, les fit entrer et referma rapidement la grande porte de fer déjà rougie par le feu. Ensemble, elles se dirigèrent vers une pièce mieux isolée de la fournaise extérieure.
Les deux petites fées expliquèrent la situation mais Cisor ne souhaitait pas déranger l'assemblée des sorcières. Elle voulut les aider. Mais avec cette température insoutenable, Cisor peinait à rassembler la force nécessaire pour faire bouger le bout de sa baguette maléfique. Elle se trouvait, par ailleurs, désarmée, ignorant comment employer sa magie pour apaiser les douleurs.
-"Je suis désolée mes demoiselles, je ne peux pas régler ce problème seule. Je dois me rendre dans la vallée des sorcières me protéger de la chaleur. Je vous y emmène. Vous y serez reçues par Ganamor mais, avant tout, promettez moi de garder secret la contrée où je vous conduis."
Les deux petites fées jurèrent de ne rien dire et se mirent en marche. Guidées par Cisor, elles allèrent à la rencontre de l'assemblée des sorcières.
Conduites par Cisor les petites fées traversèrent de nombreuses plaines assoiffées et des forêts brûlantes pour atteindre la contrée énigmatique des sorcières. Ces dernières, vivaient dans une vallée cachée entre les montagnes. Elles s'étaient retirées du monde depuis des siècles. Le lieu devait être tenu secret.
Cisor fit tout ce qui était nécessaire pour persuader les sorcières d'accepter de recevoir les petites fées. Elles furent accueillies par Ganamor, l'ancienne et sage sorcière en chef.
Après que les petites fées aient exposé tous les témoignages recueillis lors de l'assemblée des êtres magiques, Ganamor se retira. Feuilletant les pages d'un livre minuscule, elle fit une incantation avant de revenir. Elle expliqua que le déséquilibre dans le pays des créatures magiques était causé par une perturbation des flux écologiques naturels.
Une grande cérémonie fut organisée. Les sorcières invoquèrent leurs connaissances ancestrales pour rétablir l'harmonie entre la magie et la nature. Des vents doux commencèrent à souffler, apportant des nuages bienvenus qui obscurcirent le soleil brûlant.
Au fil des jours, la température commença à baisser doucement, trop doucement. La magie des sorcières n'avait pas totalement réussi à rétablir l'équilibre. Elles n'étaient pas habituées à interférer avec les éléments pour adoucir le temps. Elles préféraient généralement s'amuser à invoquer l'orage, s'amuser avec les éclairs et faire souffler des rafales.
La chaleur était redevenue supportable mais empêchait encore les plantes de pousser. Les oiseaux migrateurs n'avaient toujours pas retrouvé leur chemin, les papillons se raréfiaient toujours plus. Le problème de la température n'était pas encore totalement réglé.
Ganamor dit gentiment aux deux petites filles:
- "Je suis désolée, nous ne pouvons pas faire plus. Je vous conseille de trouver Féverte. Ce n'est pas vraiment une fée, elle n'a pas eu la permission de se rendre à l'assemblée des créatures magiques mais elle a des pouvoirs que nous même ne comprenons pas. Elle est sensible, ne la brusquez pas."
Depuis la nuit des temps, les animaux s'étaient constitués en un groupe solidaire afin que l'équilibre des choses de la Terre soit préservé. Chaque créature avait son rôle précis, une tâche essentielle pour maintenir l'harmonie dans la nature.
Au cœur de cette vaste communauté, se tenait une assemblée régulière où les représentants de chaque espèce se réunissaient pour discuter des défis et des enjeux qui se présentaient. Cette assemblée, appelée "Les gardiens de la Terre", était dirigée par Elan majestueux, un élan sage et respecté de tous.
Avec le réchauffement que le soleil imposait à la Terre, un vent d'inquiétude soufflait à travers la forêt. Les rivières se vidaient de leur eau, les arbres dépérissaient, leurs feuillages tombant vers le sol, et les oiseaux n'osaient plus ouvrir leur bec pour chanter. Les animaux avaient conscience que, cette fois, l'équilibre de la Terre était menacé. Elan majestueux convoqua les membres du groupe pour trouver une solution.
Les animaux se rassemblèrent dans une clairière préservée du regard des curieux. Elan majestueux prit la parole :
- "Chers amis, notre monde est en danger. Nous ne connaissons pas l'origine de cette montée de chaleur mais nous devons agir vite pour rétablir l'équilibre. Avez-vous une idée d'une action que nous pourrions mener ?"
Un silence s'abattit sur l'assemblée, personne n'avait la réponse. Les gardiens de la Terre n'avaient jamais été confrontés à une telle situation.
Une petite tortue s'avança timidement.
- "Peut-être pourrions-nous demander l'aide de Fée bleue ?" dit-elle.
Les autres animaux échangèrent des regards sceptiques. Fée bleue semblait perdre ses pouvoir depuis quelques temps. Cependant, une jeune corneille s'envola et ajouta d'une voix criarde et assez désagréable :
- "Raaah ! J'ai entendu dire que Fée bleue se soucie également de notre planète. Peut-être pourrait-elle simplement nous guider. Raaah ! Ensemble nous pourrons mutualiser nos forces pour restaurer notre environnement. Rhhhh !"
Elan majestueux applaudit cette idée. Il aimait regrouper les savoir-faire de chacun pour aider la communauté. Il déclara :
- "Si nous voulons préserver l'équilibre de la Terre, nous devons rechercher activement Féé bleue. Elle se fait rare depuis plusieurs années."
Les gardiens de la terre venaient de se réunir. Ils voulaient agir pour retrouver une température de l'air agréable pour l'ensemble des êtres vivants. Cette communauté était dirigée par Elan majestueux, un élan semblable à ceux que l'on peut encore croiser dans les contrées sauvages de Pologne. Mandaté par l'assemblée des animaux, paré de ses plus beaux bois, il émergea de son abri secret avec l'intention d'améliorer la situation.
Encouragé par la petite tortue, son désir était de rencontrer Fée bleue. Elle maîtrisait l'eau et possédait la puissance nécessaire pour commander aux nuages. Mais Fée bleue était introuvable, comme évaporée depuis plusieurs années. Face à cette absence, l'élan se trouva devant la nécessité d'agir seul, même s'il ne pouvait pas accomplir grand-chose à part piétiner l'herbe incandescente sous ses grandes pattes ornées de chaussettes blanches. Conscient de l'urgence de la situation, il entreprit une quête de solutions simples et efficaces, .
En compagnie de la communauté des gardiens de la Terre, il réussit à mobiliser tous les animaux de la contrée. Il fut convaincant dans son appel à répandre des graines et des semences. Son but était de revitaliser les forêts et les bois, les futaies et les champs. L'élan savait que les arbres fourniraient l'oxygène nécessaire à l'air ambiant, et que, combinés avec l'eau puisée des profondeurs de la terre, ils engendreraient des nuages bienfaisants.
Avec ses amis il ne perdit pas de temps semant sur les collines, dans les vallées, sur les raidillons les plus pentus des montagnes des milliers de graines d'arbres et d'autres végétaux en diverses variétés. Entre les champs, ils parsemèrent des arbustes, des baliveaux et des arbrisseaux divers. Ils ne ménagèrent pas leurs efforts. Les mammifères les plus imposants retournant la terre, Les oiseaux semant les graines, les petits rongeurs et les lapins recouvrant les graines d'un peu de terre. Les écureuils étaient chargé de planter les noisettes.
La croissance des arbres était lente, un peu de pluie aurait fait du bien. Elan majestueux savait qu'il manquait une touche de magie pour accomplir son dessein, mais, en l'absence de Fée bleue, il ne savait à qui s'adresser pour améliorer la pousse des arbres. Il était convaincu cependant que son plan déciderait un des esprits du bois à se manifester, qu'il s'agisse de Fée bleue ou d'un autre enchanteur malin. L'élan espérait qu'il sortirait de la fraicheur de son abri. Cette créature devait agir. Il avait hâte de la rencontrer.
Au début du jour, au moment où le soleil pénètre tout juste dans la forêt il était possible de rencontrer Fée bleue. C'était l'heure de sa promenade quotidienne. Baguette magique à la main elle avait pour habitude de rendre visite au roi des loup. Un loup noir, sombre et solitaire, un loup qui avait déjà bien vécu.
Il avait maintenant assuré sa descendance et laissé sa place au sein de la meute à son fils cadet. Il profitait d'une retraite de loup bien méritée. Il avait déjà douze ans, une date limite pour un loup sauvage.
En douze années loup noir avait eu le temps de faire bien des bêtises.
Une année, notamment, l'appétit lui tenaillait l'estomac. Les chasseurs avaient prélevé un plus grand nombre de chevreuils et de petits gibiers que d'ordinaire. Il ne restait plus rien. Il s'était résigné à s'attaquer à un troupeau de moutons mais un chien imposant, nourri à souhait, avait rapidement mis un terme à ses intentions. Il avait, cette année là, dû se contenter de garennes et de jeunes souriceaux.
Une autre fois, il avait fait la cour a une jolie dalmatienne qui vivait dans une modeste ferme isolée. L'idylle fut de courte durée, car son maître se hâta de les séparer. La dalmatienne n'avait pas l'âme d'une gardienne de moutons, elle fut contrainte de quitter les lieux.
Plus récemment, il s'était lié d'amitié avec une grand-mère à la vue un peu basse. Il assurait le gardiennage de la petite maison construite en plein bois. En retour mère-grand lui permettait de finir les petits pots de beurre que lui apportait régulièrement sa fidèle servante. Tout se passait pour le mieux jusqu'au jour où Grand-mère prit le chemin du ciel. La servante, habillée de rouge, alla tromper le village en racontant que loup noir l'avait dévorée.
Sa dernière bêtise était de n'avoir rien dit aux gardiens de la Terre sur ses rencontres régulières avec Fée bleue, laissant Elan majestueux se lamenter de ne pas la trouver.
Le roi des loup avait l'habitude de croiser Fée bleue, il en était très content car, souvent, elle faisait jouer sa baguette magique pour faire apparaitre devant lui de la nourriture fraîche et des friandises dont il raffolait. Le roi des loups était bien conscient que Fée bleue ne faisait pas cela pour tous les membres de son espèce, et cela lui procurait un orgueil modeste et sincère. En guise de reconnaissance, il consentait à Fée bleue le droit à une caresse.
De son côté, Fée bleue éprouvait une affection particulière pour ce loup. Son grand âge lui avait permis de rencontrer de nombreux canidés sauvages, mais celui-ci était différent. Elle le trouvait à la fois charmant et distingué. De plus, elle pouvait le toucher, c'était un privilège car les loups noirs sont souvent très méfiants et peu enclins aux marques d'affection.
Ce matin là, elle était venue à la source enchantée pour recharger l'énergie de sa baguette. Son pouvoir magique semblait se vider plus rapidement ces derniers temps. Il était probable qu'elle ait à remplacer bientôt le cœur de sureau. C'est lui qui concentrait le pouvoir fantastique du morceau de bois.
Loup noir s'adressa à elle :
- "Sait tu, Fée bleue, qu'Elan majestueux te cherche désespérément ?"
Elle répondit avec beaucoup de détails :
- "Oui, je sais, mais je ne peux rien pour lui. Mon pouvoir n'est pas immense, ma baguette s'épuise et me permet tout juste de conserver la fraicheur de ce petit bois et du trou d'eau où ta famille se désaltère. Rassure toi, je connais une personne qui a plus de pouvoir que toutes les fées et les sorcières réunies. Elle seule, si elle le décide, pourra régler le grave problème qui nous préoccupe tous aujourd'hui. Je l'ai chargé de surveiller le travail qu'Elan majestueux réalise."
Loup noir écouta attentivement les explications de Fée bleue. Il était soulagé d'entendre que sa protectrice, bien qu'ayant des pouvoirs limités, contribuait à maintenir un peu d'eau fraîche pour sa famille. Cependant, ses pensées étaient toujours tournées vers le sort de sa contrée en détresse.
En entendant Fée bleue parler de cette femme au pouvoir immense, il avait ressenti, enfin, un peu d'espoir. Loup noir savait que la situation nécessitait une intervention puissante et il espérait ardemment que cette femme serait à la hauteur du défi.
La baguette enfin rechargée, la fée fit un au revoir au loup qui, après avoir bien mangé, lapait à la source une eau un peu mentholée laissée fraiche par la bonté de Fée bleue.
Avec un regard déterminé, il remercia Fée bleue pour les informations qu'elle lui avait confié et se tourna vers l'étendue grise qui s'étendait devant lui. Dans l'ombre de la nuit, il laissa échapper un long hurlement, mélange de frustration, d'espoir et de désir ardent de voir sa contrée renaître.
Fèverte n'était pas ce que l'on pourrait véritablement qualifier de fée. Elle n'accordait pas d'attention aux berceaux des nouveau-nés et ne jetait pas de sorts, qu'ils soient bienveillants ou maléfiques, sur les humains.
Son nom avait induit en erreur tout le territoire, laissant croire qu'elle était une fée vêtue de vert. En réalité, Fèverte était un femme qui présentait bien des similitudes avec les esprits évoquées dans les croyances amérindiennes. Elle aurait pu être la soeur de Manitou, l'esprit suprême des algonquins ou de Tabal-dak, l'esprit créateur des abénaquis ou même encore la fille d'Oranda, vénéré par les iroquois. Elle figurait d’ailleurs chez-eux sur de nombreux totems.
À sa naissance, une fève sèche, dure et rabougrie, était tombée sur le sol infertile situé près de son berceau. La graine s'était mystérieusement mise à germer. En découvrant ce phénomène singulièrement exceptionnel, ses parents avaient tout naturellement choisi de nommer leur bébé "Fèverte" afin de perpétuer le souvenir de cet événement hors du commun.
Dès son plus jeune âge, elle avait révélé des pouvoirs prodigieux, qu'elle utilisait avec une grande parcimonie. Parmi ses talents, on comptait notamment la capacité de manipuler le temps, une aptitude qu'elle maîtrisait avec une prudence extrême. Elle était également créatrice de nombreuses sources nourrissant les grands fleuves de la terre.
Bien que de nombreuses légendes humaines parlent d'elle dans des contes imaginaires, les animaux en avaient la certitude : Fèverte était bien réelle.
Fèverte avait été mandatée par Fée bleue pour observer avec attention le travail acharné d'Elan majestueux et des gardiens de la Terre. Ils s'efforçaient de planter inlassablement, semant avec précaution, veillant à laisser à chaque jeune pousse l'espace nécessaire à son épanouissement. Elle avait même trouvé ingénieuse l'idée de l'élan qui consistait à varier les semences dans chacune des parcelles.
Fèverte approuvait les efforts accomplis par l'élan et les gardiens de la terre mais elle doutait de leur capacité à modifier la température ambiante. Avec patience elle attendit quelques jours, observant de loin les résultats. Elle constata rapidement que les nouvelles plantations dépérissaient peu à peu. Devant ce triste constat, une profonde tristesse l'envahit. Elle n'avait pas vraiment conscience de l'étendue de ses pouvoirs et pensait qu'elle ne les maîtrisait pas suffisamment pour régler ce problème. Une larme glissa le long de sa joue, bientôt suivie d'une seconde.
En atteignant le sol, la première larme fit jaillir une source à l’eau abondante. La seconde larme, gorgée de nutriments, s'unifia avec la première, arrosant généreusement le sol tout autour d’elle. Les plantes nourries sur le parcours du ruisseau nouvellement né, relevèrent la tête s'épanouissant grâce à cette manne inattendue.
Mais Fèverte était persuadée qu’il était déjà trop tard. Elle s'apprêtait à partir lorsque la fille d'Elan majestueux se présenta devant elle, une lueur d'espoir dans les yeux :
- "Bonjour Fée verte, ne partez pas déjà, mon père a vu ce que vous avez fait avec deux de vos larmes, Il est aujourd'hui empli d'espoir quant à l'avenir."
Fèverte lui répondit d'une voix franche et un peu exaspérée :
- "Sache, gamine, que je ne suis pas une fée. Appelle moi Fèverte en un seul mot s’il te plaît et donne-moi une seule bonne raison pour que j’intervienne."
- "Fèverte, ne partez pas, si vous n'agissez pas, vous feriez tout simplement mourir mon père."
-"Ta pensée pour ton père est louable, jeune fille, je vais donc utiliser mes pouvoirs, mais pas spécifiquement pour lui. Sa vie avance en âge et je dois, pour précipiter la pousse des plantes, accélérer le temps. Ton père n'aura plus, hélas, que peu de temps à vivre. Je vais agir pour toi. Je veux offrir à ton existence et à celle de ta communauté une vie plus douce et dépourvue des fardeaux du passé. Je vais accélérer la pousse des plants semés par tes amis pour te donner un air plus frais. Elan majestueux, ton père, a réussi à me convaincre. Ses efforts ne seront pas vains."
Fèverte leva les yeux vers le ciel. Aussitôt les flammes dansèrent autour d'elle dans une spirale envoûtante. Le temps prit un rythme accéléré. Devant leurs yeux ébahis, la rivière des larmes devint une rivière, s'élargissant en delta, les arbres se mirent à pousser à une vitesse fulgurante, de nouvelles plantations émergèrent du sol, réduisant en un claquement de doigt, le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. L'air devint aussitôt plus respirable.
L'eau absorbée par les racines des plantes fut libérée par les feuilles et transformée en nuages. Peu à peu cirrus, stratus, cumulonimbus commencèrent à se rassembler, voilant le soleil brulant. La température ambiante chuta de quelques degrés, offrant un soulagement bienvenu à la terre et à ses habitants. La transformation magique était en cours.
Elan majestueux observa sa fille avec un sourire de contentement, empreint de gratitude envers Fèverte. Lorsqu'il se tourna pour exprimer ses remerciements, il s'aperçut que la mystérieuse créature avait déjà disparu.
Le vieil élan et sa fille posèrent les genoux à terre, puis s'étendant sur le sol, il se relâchèrent enfin. La jeune fille n'avait jamais été aussi proche de son père, leurs rires fusionnèrent dans un moment d'affection partagée. Épuisés par les efforts déployés au cours des derniers jours, ils s'endormirent ensemble, bercés par le doux écho du travail accompli et par les promesses d'un avenir transformé.
Fèverte avait pris soin d'avertir la fille de l'élan majestueux. Elle lui avait expliqué que l'accélération du temps aurait inévitablement des conséquences sur le vieillissement de son père, rendant ses signes de faiblesse de plus en plus apparents.
Les signes de l'affaiblissement de l'élan n'étaient, jusque là, pas particulièrement visibles. Quelques poils gris étaient apparus il y a quelque temps, mais aujourd'hui, sa toison était presque entièrement blanche, parsemée de zones où les touffes de poils avaient complètement disparu. Sa jambe gauche, plus courte, le faisait boiter de plus en plus. Ses yeux ne parvenaient plus à discerner avec autant d'acuité les obstacles tels que les épines et les ronces sur son chemin. Les marques du temps s'étaient imprimées sur lui de manière irrémédiable.
Les herbes aquatiques de l'été, les écorces et les lichens de l'hiver n'avaient plus le goût familier qu'il avait connu dans sa jeunesse. Sa mère l'emmenait souvent sur les bords du marais où les jeunes pousses perçaient à peine la surface. Leur teinte verdoyante et la résurgence des libellules avec le retour du printemps demeuraient à jamais gravées dans ses souvenirs. Le printemps, avec son renouveau, avait toujours été sa saison préférée.
L'automne de sa vie s'était installé. Il devait encore traverser l’hiver. Seul, il doutait de sa capacité à résister longtemps. Les eaux étaient devenues trop froides. Elles réveillaient les blessures qu'il avait jadis endurées. Elles s'étaient ranimées en un souffrant rappels d'une existence bien remplie.
Les douleurs qu'il ressentait étaient presque insoutenables. Elles ravivaient en lui les souvenirs des luttes qu'il avait menées, défendant farouchement son fils ainé, sa fille et sa communauté contre les prédateurs qui menaçaient. Elles faisaient ressurgir les échos des brames puissants et des batailles acharnées livrées contre ses amis de longue date. Tous convoitaient la même femelle, mais c'était finalement à lui qu'elle avait accordé ses faveurs, en dépit de ses blessures et de son refus de combat contre son camarade le plus cher.
Ces douleurs étaient bien plus qu'une simple sensation physique, elles étaient le reflet d'une vie riche en épreuves et en triomphes, un témoignage de sa détermination à protéger et à préserver tout ce qui lui était le plus cher.
Depuis quelques temps, l'élan majestueux avait renoncé à l'idée de parcourir librement son territoire. Il avait établi son lieu de résidence à l'orée d'un bois, à proximité des zones humides qui lui offraient un certain degré de sécurité. Il évitait de s'aventurer au-delà de cette zone familière, qui lui procurait un semblant de refuge. Son fils, sa fille et sa sœur prenaient tour à tour soin de lui, lui apportant de l'herbe fraîche provenant de l'étang voisin, quelques champignons et de temps en temps de délicieux fruits rouges.
Il était conscient des sacrifices que faisaient ses proches pour lui. Ils étaient encore jeunes et pleins d'énergie pour explorer, rencontrer d'autres clans, jouer avec leurs enfants et s'éclabousser joyeusement dans l'eau. Ils se dévouaient pour prendre soin de lui. Elan majestueux insistait pour qu'ils le laissent en paix, affirmant qu'il pouvait se débrouiller seul, comme il l'avait fait jusqu'à présent. Il leur lançait parfois des injonctions teintées de colère, les enjoignant de le laisser tranquille :
-"Allez au diable et laissez-moi", leur disait-il souvent.
Conscient de ses limites, Elan majestueux reconnaissait que son autonomie s'était érodée et que les herbes croissant près de l'étang ne pourraient pas pousser assez rapidement pour assurer sa subsistance tout au long de l'année. Dépendre uniquement de ces maigres ressources aurait été insuffisant. Son incapacité à se déplacer au-delà d'une centaine de mètres l'empêchait de rechercher d'autres sources de nourriture.
Les baies cueillies à l'orée du bois étaient une friandise qu'il appréciait particulièrement, mais elles ne se régénéraient qu'une fois par an, laissant de longs intervalles où la nourriture se faisait rare. Les écorces des arbres avaient déjà été largement rognées. Elles ne constituaient plus un palliatif durable. La réalité de sa situation devenait de plus en plus évidente, et la dépendance envers ses proches grandissait.
Un jour sa fille arrivée un peu plus tôt qu’à l’habitude trouva la place vide. Son père n’était plus là. Les empreintes déposées dans la terre humide ne laissaient aucun doute, les sabots du côté gauche s'enfonçaient plus profondément dans la boue, c’était bien les traces de son père. Il devait boiter fort, les marques étaient profondes. Elle suivi les indices sur cent mètres, puis deux cents, puis cent mètre encore.
Au loin, elle repéra Elan majestueux en train de pénétrer dans le bois où résidait Orpaix, un prédateur redouté et impitoyable. Son cœur se serra d'inquiétude et elle se mit à courir pour le rattraper, voulant lui promettre qu'elle s'occuperait toujours de lui, qu'elle serait là pour le soutenir. Ses pas étaient précipités par un sentiment d'urgence. Quand elle arriva sur les lieux, il était déjà trop tard. Les traces s'arrêtaient net, marquant la fin du chemin tracé par son père.
La musique du vent étouffait la cadence des sabots lents du vieil élan. C'était une mélodie triste et cotonneuse qui empêchait la fille d'Elan majestueux d'avoir une pensée ordonnée. Un froid subit envahit son cœur et elle se retrouva submergé par une sensation de solitude. L'évidence la frappa : son père était parti pour toujours. Elle fit demi-tour, entamant le chemin du retour.
Elle remarqua alors que toutes les baies rouges de l'hiver avaient été soigneusement cueillies le long du chemin parcouru par son père. Elle réalisa qu'il s'agissait des baies que son père avait lui-même semées avec elle.
Une baie n'avait pas été ramassée. Doucement, elle prit cette dernière entre ses dents. Sentant sa maturité parfaite, elle la fit glisser dans sa gueule avec précaution. Une vague de compréhension l'envahit alors. En savourant la saveur sucrée de la baie, elle sut instinctivement que son père s'en était régalé lors de son dernier voyage. C'était comme si ce simple acte, transcendant l'espace et le temps, était devenu un lien intime entre elle et lui.
Je tourne doucement la page suivante, mais elle m'échappe des mains. Elle se retourne brusquement, déclenchant un souffle chaud qui soulève mes cheveux. Mon instinct me pousse à refermer la page, mais c'est en vain. Le souffle est trop puissant, m'obligeant à poursuivre la lecture de ce chapitre jusqu'à son terme.
Le vent chaud était en furie. Lui qui autrefois fredonnait de jolies mélodies dans les sous-bois, lui qui soulevait délicatement les jupes de la mer, lui qui caressait, en jouant, les herbes et les feuillages, avait transformé la musique de son orchestre en une symphonie désordonnée. Les violons et les flûtes avaient été remplacés par des contrebasses et des grosses caisses assourdissantes. Les clarinettes joyeuses avaient été éclipsées par des trombones rugissants. Même le piano avait perdu ses notes aiguës, sa table d'harmonie avait été brisée.
Le vent refusait d'être apaisé par les nuages. Il tourbillonnait autour d'eux, changeant de direction à chaque instant, de droite à gauche, de gauche à droite, montant et descendant. Il tentait de les éparpiller en vain. Les nuages, au contact du vent, s'élevaient encore plus haut, à la recherche d'airs frais, puis retombaient vers le sol presque gelés. Cette résistance frustrait le vent qui grondait de colère. Des fracas retentissaient : Baoum ! Raoum ! Crac et recrac !
La cacophonie du vent résonnait dans l'air, mais même son bruit assourdissant n'empêchait pas les nuages de répandre leur fraîcheur sur la contrée. Le vent, de plus en plus enragé, se déchaîna contre les oiseaux. Il séparait les mâles des femelles, s'amusant à précipiter les oisillons de leurs nids. Les oiseaux migrateurs du Nord se retrouvèrent au Sud, et vice versa. Un cygne fut déposé en haut d'un arbre, un pic noir fut projeté au milieu des flots, tandis qu'une colombe, son aile brisée, s'écrasa contre un arbre avant de se réfugier au fond du bois.
La colombe entreprit alors un voyage vers le clan des cerfs pour y trouver de l'aide. Elle connaissait un jeune cerf. Il n'était pas le plus puissant, mais certainement le plus résolu. Sa détermination était reconnue de tous, et même les cerfs les plus robustes hésitaient à se mesurer à lui. La colombe raconta sa mésaventure aux animaux du bois, expliquant la situation désespérée causée par la tempête enragée. Cependant, ils semblaient désarmés. Elle se rendit compte qu'eux aussi se sentaient impuissants face à la furie de cette tempête.
Le jeune cerf prit les choses en main. Il fit appel à sa tribu pour qu'ils l'accompagnent. Sa réputation de sagesse était bien établie, et généralement, tous suivaient ses conseils. Bien qu'ils aient hésité face à la situation dangereuse, ils finirent par se rassembler et se mettre en marche ensemble, formant un groupe compact pour résister aux assauts du vent qui ne pouvait plus les faire trébucher ni reculer.
Ils allèrent jusqu’à la mare verte ou s’étaient réfugiés tous les canard colverts du pays. Aplatis à la surface de l’eau, le vent n’avait aucune prise sur eux. Quand les cerfs arrivèrent à la mare, les colverts étaient là, très nombreux. Le jeune cerf leur expliqua son plan. Il était grand temps car le vent s’énervait de ne pouvoir faire reculer la harde.
Ils progressèrent jusqu'à la mare verte où s'étaient réfugiés tous les canards colverts du pays. Aplatis à la surface de l'eau, le vent n'avait aucune prise sur eux. Lorsque la tribu du jeune cerf rejoignit la mare, elle y trouva les colverts en grand nombre. Le jeune cerf leur expliqua son plan. Il était grand temps car le vent devenait de plus en plus agité, frustré de ne pouvoir faire reculer la harde.
Le vent avait entamé un demi-tour en gonflant ses poumons. Il faisait résonner ses tambours et s'entrechoquer ses cymbales. Il s’apprêtait à faire alliance avec l’orage. Il n'en eut pas le temps. Le jeune cerf s'était avancé, se détachant du groupe. Il releva fièrement la tête, décidé à défier le vent. Ce dernier, arborant un sourire disgracieux, s'approcha du cerf, s'avançant encore, toujours plus près.
Arrivé à quelques mètres, tous les colverts s'élevèrent en un mouvement coordonné, battant leurs ailes à l'unisson. Le vent, pris au dépourvu, lutta pour reprendre son souffle, tentant désespérément de s'accrocher aux bois du cerf. Cependant, l'effet de masse des colverts en plein vol était puissant. Leurs ailes agissant comme un contrevent, le vent fut repoussé, incapable de résister à la force conjuguée de leurs mouvements.
En un clin d'œil, le vent se calma, ses tambours tumultueux se transformaient en percussions chamaniques invitant à la danse. Les nuages sombres commencèrent à se dissiper, laissant entrevoir un ciel bleu éclatant et les rayons dorés d'un soleil resplendissant. Progressivement, le souffle du vent perdit son ardeur brûlante pour retrouver sa douceur d'antan, apportant un rafraîchissement bienvenu à la contrée.
Le jeune cerf adressa ces mots au vent :
- "Vent des plaines et des forêts, nous n’aimons pas ta furie mais apprend que nous te respecterons toujours quand tu transporteras les graines et que tu feras tourner nos moulins."
Emu, le vent pataud ne sut comment remercier la harde et les colverts. Il prit la décision de leur faire une grosse bise.
Et, enfin, je pus tourner la page.
La future princesse s’essuie le visage encore humidifiée par le filet d'eau qui coule à la pierre de sa modeste demeure. La température s’est rafraichie, un courant d’air doux se glisse de la porte vers la petite fenêtre en bois rongée par les ans. C’est un air enchanté qui siffle un air joyeux à travers la serrure. C’est un filet de bonheur qui passe sous l’ouverture de la maison et qui s’évapore en fous rires d’anges.
Elle sourit, sentant la présence magique des petites fées qui ont réussi leur mission avec brio. C'est comme si elles avaient déployé leur magie pour apporter ce réconfort et cette fraîcheur bienvenue dans sa maison.
- "Les petites fées ont réussi leur mission" se dit-elle.
La princesse ressent une véritable joie. Elle s’autorise enfin une sortie. C'est une envie qu'elle a refoulée pendant si longtemps, la chaleur intense et les souffles brûlants d'air l'avaient gardée captive à l'intérieur. Heureusement, l'assemblée des créatures magiques avait suivi ses conseil et l'intervention de Fèverte avait débarrassé le ciel du feu dévorant et l'air était à nouveau frais et respirable.
Poussant doucement le battant de la porte, la princesse est surprise. Devant elle s'étend un paysage d'un noir profond, mêlé à des teintes blanches poussiéreuses, entrecoupé de nuances de gris. La contrée autrefois vivante et colorée a été ravagée par la chaleur excessive. Les conséquences de la canicule étaient bien plus dévastatrices qu'elle ne l'avait imaginé.
Passée la stupeur de cette vision inattendue elle fait quelques pas pour rejoindre le haut d’une petite colline. Chacun de ses mouvements fait s'enfoncer ses pieds dans la fine poudre grise qui s'envole dans une nuée légère à chaque pas. Animée d'une détermination nouvelle, elle souhaite évaluer l'étendue des dégâts qui ont touché sa contrée bien-aimée.
Arrivée au sommet de la bosse, la princesse décide de se hisser sur la pointe des pieds. Elle ouvre grand les yeux. Du bout de ses pieds jusqu’au plus loin qu’elle put percevoir, elle ne vit rien que des dégradés de gris ponctués de taches crayeuses et d’ombres ténébreuses. Son cœur se serre douloureusement face à ce paysage désolé et sans vie. Le désespoir l'envahit devant l'ampleur de la destruction.
Elle s’accroupit et ferma les paupières. Elle ne voulait pas pleurer, il y avait bien une solution, il y a toujours une solution. Elle eut le souvenir réconfortant de sa grand-mère. Une voix douce lui murmurait de laisser les soucis derrière elle et d'accueillir les rêves prometteurs :
- "Ferme tes yeux sur les soucis ma belle, laisse venir tes beaux rêves, la solution à tes problèmes viendra demain."
Essuyant une larme, elle se relève doucement, faisant demi-tour pour regagner sa demeure. Une fois chez elle, elle prend soin de se laver les pieds couverts de suies noires et de secouer la fine poussière accrochée à sa robe de soie rose. Elle se laisse tomber tout habillée sur son lit. S'enveloppant d'une couverture légère, les yeux fermés, elle se détend et se laisse emporter par le sommeil, enfin prête à explorer la profondeur de ses rêves.
Encore dans ses rêves, la princesse tira la couverture qui couvrait ses pieds. Le froid était entré dans la cabane de pierres sèches mal isolée. La couverture ne suffisait plus à la réchauffer. Un frisson, plus fort qu’un autre, la sortit définitivement de ses rêveries nocturnes. La nuit était tombée depuis quelques heures. On ne voyait rien dans la maisonnette, la nuit sans lune interdisait toute lueur.
Du bout des doigts Princesse tâtonne le dessus de la commode pour retrouver le bougeoir placé là. Une allumette s’enflamme et se dirige vers la mèche de la chandelle abimée par le temps. Le minuscule flambeau glisse vers une autre lampe puis une troisième transmettant la flamme aux bouts de cire des chandeliers répartis dans la pièce. Une odeur d’huile brulée par les lanternes se répand alors dans la maison.
La princesse se couvre d’un gilet de laine épaisse. Son corps frêle se réchauffe doucement. Elle se sert une infusion dans un bol qu’elle serre des deux mains. Elle s’assoit le dos vouté, la tête au dessus du récipient chaud, un coude sur la table. Elle respire de tout ses poumons et se rappelle sa terre brulée. Son cœur s’emballe, elle veut vérifier s’il ne s’agissait pas d’un cauchemar. Elle ingurgite rapidement sa tisane au risque de se bruler. Elle doit vérifier.
Ce n'était pas possible, ses rêves étaient si beaux. Elle y avait retrouvé son ami le lapin, ils avaient discuté ensemble de la manière de reconstruire le nid de la colombe, détruit par la tempête. Avec son aile cassée, elle ne pouvait apporter les ramilles jusqu'à la branche qui avait bercé son enfance. Lapin et la princesse avaient trouvé une solution. Ils l'aideraient à trouver les brindilles pour construire son nid. En suivant les conseils de la colombe, ils construiraient un nouvel abri au sol. Les amis écureuils le monteraient ensuite sur la branche préférée de Colombe et l'y attacheraient solidement. Ainsi, elle pourrait s'y installer en attendant que ses os se ressoudent.
Mais le rêve de Princesse prit fin, interrompu par un froid glacial. Elle quitta son lit et s'approcha de la fenêtre, tenant une chandelle allumée.
La couleur rouge orangé de la flamme de la chandelle se répandait doucement sur le sol blanc immaculé. Les yeux de la Princesse s'adaptèrent à la nuit. La poussière grise de la veille s'était transformée en un tapis de neige étincelant. Dans le ciel, une lumière verte délicate éclairait faiblement l'obscurité. Bien que la Princesse ait déjà contemplé des aurores boréales, celle-ci semblait véritablement magique.
Déjà, de l'herbe d'un vert fluorescent poussait à travers la neige, recouvrant les prairies d'une lueur vive. Le froid grimpa lentement le long de ses jambes, et la Princesse sut qu'il était temps de rentrer à l'intérieur.
Les esprits invisibles travaillaient en harmonie avec les elfes et les génies de la contrée. Lutins, farfadets, anges et divinités de tout poil avaient décidé de lui prêter main-forte pour restaurer la contrée à l'image de celle qu'avait connue sa grand-mère.
Elle referma la porte derrière elle, se saisit d'un bol de tisane chaude. Heureuse, elle ne souhaitait plus se recoucher. Elle voulait attendre les premiers rayons du soleil. Appuyée contre la fenêtre, elle observait le monde invisible à l'œuvre, veillant sur les prairies, les bois et les ruisseaux.
La lumière du grenier pièce s'éteint brusquement. Je venais de tourner la page. Plus une seule lueur par le vasistas de la mansarde. Il fait nuit noire. Je suis entré dans le rêve d'un des personnages de l'ouvrage.
Il est placé le dos tourné à l'orée de la forêt. Devant lui se dessine un paysage agricole qu'il ne connaît pas. L'horizon n'est pas vraiment montagneux, une vallée se dessine en contrebas, elle sillonne dans la trace laissée par la rivière il y a des milliers d'années. Quelques bois épars se répartissent par ci par là. Il n'y a pas de quoi abriter de grands cerfs mais quelques chevrettes et marcassins pourraient s'y réfugier en sécurité.
Une mystérieuse lumière sortie d'on ne sait où dessine dans le ciel une planète de substitution. Lumineuse et attirante, elle est voilée par une brume de couleur mentholée. Tout l'espace est empli d'une odeur semblable à celle que portait le ruisseau enchanteur où venaient se désaltérer les animaux du bois. A la brume se mêlait les vapeurs de plantes aux propriétés médicinales.
Les gouttelettes portées par ce brouillard ont fait leur effet sur mon personnage . Il respire fort. Il ne ronfle pas mais ses narines sont largement ouvertes laissant entrer les parfums rafraîchissants de la nuit. Son rêve est peuplé de personnages inconnus qui discutent bruyamment entre eux.
Au sein de cette foule joyeuse il parvient à distinguer quelques uns de ses ancêtres. Il entrevois sa grand-mère, une femme un peu druidesse, propriétaire d'un lopin de terres agricoles au labour difficile. Il discerne également un solide gaillard soulevant une énorme bûche de bois pour épater les copains, il ressemble trait pour trait à ce qu'il lui reste de souvenir de son grand-père, le bucheron du petit village de la forêt. Il croit reconnaitre un oncle un peu dragueur qui amuse la galerie en contant des blagues sur les fées de la contrée. Il y a aussi le cousin Albert, timide, resté dans son coin pour fabriquer des élixirs d'amour. Il n'osait pas s'en servir et pourtant c'était un être beau et il avait de l'intelligence. Ces figures familières étaient partit trop tôt. Il y avait là son meilleur copain, celui qui avait eu un amour fou pour le vol des oiseaux. Il s'était fait pousser des ailes et s'était envolé sans retour.
Tous les personnages de son rêve ont pris le même chemin, remontant la vallée pour se diriger vers la planète vert-jade étincelante, perle énorme sur l'horizon.
Sa vision s'évanouit peu à peu, laissant place à un sommeil profond.
Le prince résidait dans un château d'une envergure colossale. Il aurait fallu plusieurs dizaines de mains pour énumérer sur leurs doigts le nombre de couloirs, de passages, d'escaliers, de pièces à vivre, de chambres, de cuisines, de donjons et autres cachots qui y avaient été construits. Cette résidence imposante lui était parvenue en héritage d'un aïeul arrogant et retors.
Cet ancêtre, pour ériger ce majestueux édifice, avait exploité les paysans, abusé des dévots, escroqué les marchands et dépouillé les voyageurs de leur bien. Sa méchanceté était notoire.
En dépit de sa nature bienveillante et de son caractère empreint de charité, le prince éprouvait d'énormes difficultés à éradiquer la sinistre réputation laissée par son prédécesseur. Les fermiers, même ceux établis aux confins du domaine, avaient veillé à transmettre, de génération en génération, l'histoire des confiscations, des humiliations et des dépossessions orchestrées par le souverain d'autrefois. De façon résignée, ils léguèrent le peu qui leur restait à leurs héritiers, condamnés eux aussi à travailler pour le prince, perpétuant une relation imposée depuis bien des années. Ces récits, inscrits dans la mémoire des ancêtres et transmis aux descendants, perduraient tel un fardeau indésirable pour le jeune prince.
L'ennui était devenu le compagnon permanent du jeune héritier. La majorité de son temps se déroulait dans les murs confinés de son palais. Chaque tentative de sortie était accueillie par des jets de pierres et des cris remplis d'animosité. Les obstacles semblaient se dresser sur son chemin, l'empêchant d'explorer le monde au-delà de ses murs. Chaque pas était un défi, chaque déplacement limité par les hostilités qui semblaient l'encercler sans relâche.
Face aux températures étouffantes, le prince avait choisi de descendre avec ses sœurs dans la profondeur des caves du château. Dans cet endroit inattendu, une bouffée d'air frais leur procurait un soulagement bienvenu.
Il ne savait pas encore que ces voûtes ancestrales abritaient un recoin qu'il n'avait encore jamais exploré jusqu'à ce jour.
La belle histoire du livre renfermait des pages plus sombres. Laissez-moi vous exposer celle-ci.
Dans ce livre d’illusions et de chimères, depuis que la température s’était radoucie, il y avait, de nombreuses contrées heureuses, sauf une.
Cette province était située pas loin d’ici. Il y vivait un despote qui avait tous les défauts que pouvait contenir l’univers des elfes et des fées. Et pourtant, cet univers n’avait pas beaucoup d’imperfections mais ce souverain avait réussi à toutes les rassembler.
Il avait vu Féverte pleurer et remarqué l’effet de ses sanglots sur la terre. Avec sa grosse tête au cerveau étroit il avait spéculé qu’en faisant pleurer son peuple sa terre serait plus riche et que les plantations seraient plus généreuses. Il imaginait voir pousser des blés gros comme des maïs, des pommiers fournissant des fruits gros comme des ballons, des vignes aux grains de raisins pesant le poids d’une boule de pétanque. Il pensait sournoisement qu’en faisant pleurer son peuple il s’enrichirait.
Ce monarque menait son pays avec une autorité absolue et arbitraire. Même chez lui les gens le craignaient. Vlapout n’avait pas beaucoup de cerveau mais n’était pas sot pour autant. Il décida de ne pas faire pleurer tout de suite toutes les foules de son pays. Il s’en prit d’abord à une province au sol aride fait de craie et de cailloux.
Pour dévaloriser ce petit peuple courageux, il les traitait souvent de craignos. Eux, ils s’en moquaient car il y a bien longtemps qu’ils ne le considéraient plus comme leur maitre. Pour les faire pleurer, il se prit de diverses façons. Il chargea d’abord sa milice de leur tirer les oreilles. Ils crièrent de douleur mais ne pleurèrent pas. Ensuite, il leur fit raconter des histoires tristes. Ils s’en détournèrent pour aller rire et chanter autour d’une guitare. Enfin, il les obligea à éplucher des oignons.
Malgré tout leur courage, ils se mirent à pleurer. Ils pleurèrent, sanglotèrent, larmoyèrent tant et tant que la craie de leur sol fut remplie de leurs larmes.
Mais ce qu’attendait Vlapout ne se produisit pas. Pas de gros raisins, pas de blés géants ni de pommiers gonflés aux hormones. Non, à la place, le sol se mit à produire des fleurs. De petites fleurs au parfum enivrant avaient surgi de la terre en quantité, de grosses fleurs aux couleurs chatoyantes et à l’odeur délicate se répandirent dans les vallées, des muguets blancs couvrirent les sous-bois emplissant l’air de senteurs de printemps, des menthes poivrées et des citronnelles couvrirent les espaces.
Vlapout ne supportait pas les émanations que la nature lui offrait, les bonnes odeurs l’écœurait. Il était le seul à éprouver ça. Le reste des peuples de cet univers, les fées, les elfes, les gnomes, les animaux et les esprits aimaient les parfums de nature. L’odeur couvrit celle des oignons et plus personne n’eut de larmes. Les fleurs, elles, étaient restées.
Vlapout du s’éloigner de la province crayeuse puis fuir la contrée car les odeurs s’étendaient de pays en pays. Il partit si loin qu’aujourd’hui plus personne ne saurait vous dire ce qu’il est devenu.
Cette phrase, merveilleusement formulée, émane de Julos Beaucarne, un chanteur, conteur et poète d'exception. Je l'adopte pour inaugurer cette collection de récits qui ont été présentés, pour certain, sous leur forme originelle sur mes pages Facebook.
Les récits ont été en partie corrigés et abondés d'autres textes. D'autres images sont venues enrichir les premières illustrations. Celle-ci sont constituées de mes photographies associées à des représentations de fractales générées par mes soin. Un soupçon d'intelligence artificielles m'a permis de générer certaines images manquant à ma bibliothèque.
Je citerais encore Julos Beaucarne pour finir cette rapide introduction. Il a prononcé ces mots inspirants :
"Le voyageur ne prend qu'une direction ; le rêveur les prend toutes."
La pluie battait le tambour sur le tonneau de la cour. Rien ne donnait envie de sortir ni le croassement des grenouilles ni les traces dorées laissées par les escargots.
Ma grand-mère avait remis du bois dans la cuisinière et le froid de la nuit s'estompait peu à peu.
Emmitouflé sous une petite couverture, l'estomac rempli d'un grand bol de chocolat chaud, j'étais blotti dans un coin douillet de la pièce. J'attendais patiemment que la chaleur envahisse l'espace pour activer mes bras et mes jambes.
Quand mon corps accepta enfin de se déplier ma grand-mère était déjà sortie pour nourrir ses animaux. Je regrettais, sans conviction, de ne pas l'avoir accompagnée. Elle n'avait, de toute façon, pas besoin de moi. j'étais en vacances chez elle et je ne connaissais rien aux travaux de la ferme.
Je tournais en rond dans le petit espace laissé aux humains à l'intérieur de sa grande ferme. De temps à autre, je jetai un regard rapide par l'unique fenêtre de la pièce de vie. Je regardai passer les oiseaux. La pluie s'était arrêtée sans chasser un ciel gris de printemps. Les arbres appelaient le soleil en déployant leurs feuillages vert pomme et leurs pompons de fleurs roses.
Je venais régulièrement à la ferme. Depuis quelque temps j'avais repéré un petit escalier de meunier, très raide, placé dans le couloir froid qui sépare la pièce de vie de l'étable. je n'y avais, jusque là, pas prêté grande attention. J'avais l'interdiction d'y monter.
-"Tu pourrais tomber de l'escalier. On y place nos vieux outils, tu pourrais t'y faire du mal. Il n'y a rien pour toi la haut. Allez ! Ouste !"
Aujourd'hui, j'avais décidé d'y monter.
Grand-mère était affairée à la traite de la Blanche, une vache nerveuse qui bousculait régulièrement le seau de lait. La vieille, assise sur un tabouret à trois jambes, faisait attention à tous les mouvement de sa meilleure productrice. Elle tirait les pis en évitant habilement les coups de queues violents destinés principalement aux nombreuses mouches et moustiques de la ferme.
J'en profitais pour me glisser dans le froid couloir qui borde l'étable et poser le pied sur la première marche de l'échelle qui mène au grenier. Il me fallait éviter les bouteilles, outils et boites de conserve posés là et qui obstruaient le passage. La saveur de l'acte prohibé s'ajoutait au magnétisme de l'endroit. Il me fallait rester vigilent. L'escalier était raide et laissait s'enfuir des grincements de bois m'obligeant à redoubler de précaution pour accéder à l'étage.
Le grenier n'était pas trop sombre. Une lucarne laissait tomber le jour au pied d'un petit bureau. On y avait placé là une chaise et de vieux livres.
Pour le reste, je n'y voyais rien ou presque. Je devinais l'emplacement de quelques meubles abandonnés. Un coffre à moitié ouvert laissait entrevoir des tissus rongés aux mites ou ciselés par des dents de rats. Un rabot trainait sur le sol poussiéreux, de vieux marteaux, un balai sans poil, une casquette de militaire, un clairon et quelques bassines. Un vieux réveil bloqué sur 14h12.
Au dessus du bureau, sur une étagère poussiéreuse une chose attirait mon regard. Elle semblait plus lumineuse que la lucarne et expulsait en spirales des lumières douces et rassurantes.
Attirante comme un aimant, je m'en approchais à pas feutrés. Le plancher grinçait vraiment.
C'était une sorte de boule de cristal sans cristal, sans verre et sans support. Elle flottait au dessus de la planchette du rayonnage sans être suspendue ni maintenue sur les cotés. Elle m'intriguait beaucoup. J'approchais ma main vers l'objet lumineux.
J'étais en apnée, les recommandations de ma grand-mère revinrent aussitôt à mon esprit.
- "Tu pourrais te faire du mal !"
Je reculais ma main rapidement.
Après avoir repris mon souffle, mon désir était trop violent, j'avançais la main de nouveau, prudemment. La sphère bondit soudain vers moi. La surprise me fit reculer d'un pas provoquant la colère du plancher qui craqua de fort belle manière. J'ai cru qu'il allait s'effondrer.
Ma crainte ne fut que de courte durée. Elle se tenait là, au dessus de ma main gauche. Elle était comme un chat qui attend des caresses, douce et chaude mais sans ronron.
Mes yeux étaient hypnotisés par la douce lumière de la boule magique. Il s'y habituaient peu à peu. Je commençais à distinguer des images. D'abord floues, elles devinrent de plus en plus nettes.
La sphère était devenue immense, Elle emplissait maintenant tout l'espace. Il y avait, dedans, une nuit éclairée par des milliers d'étoiles, des racines semblant aspirer le ciel et, au milieu de cette forêt sombre, une clairière flamboyante.
Un animal se tenait là, timide. Il s'approchait à pattes lentes jusqu'au milieu de la trouée lumineuse. Il ressemblait à une biche mais en plus petit. Il n'avait pas de bois. Ce n'était ni un cerf ni un brocard. Après avoir frotté doucement mes yeux je reconnu plus certainement, à son pelage d'un brun roux, à sa face plutôt grise et sa courte queue blanchâtre qu'il s'agissait d'une chevrette. Son toupet blanc était baissé, signe que pour elle, il n'y avait aucun danger.
Elle tourna la tête vers moi et me dit :
-"Que fais tu là ? N'avais tu pas l'interdiction de venir ici ? Le monde du grenier ne t'a pas encore été donné en héritage.
- "Le monde du grenier ?" bégayais je, étonné de l'entendre parler.
- "Oui, le monde du grenier. Ici, ce n'est pas un endroit comme les autres. C'est un endroit magique réservé aux personnes qui savent rêver."
- "Mais, moi aussi je rêve. Je rêve toutes les nuits."
- "Alors, raconte moi ton dernier rêve", m'ordonna t'elle.
- "Je ne me rappelle plus ... enfin ... si. Il était question d'une fée qui exerçait sa magie dans une forêt délicieuse. Enfin, je crois ..."
- "Très bien. Ne m'en dit pas plus, je sais maintenant pourquoi tu es là. Assied toi sur la chaise du bureau, prend le grand livre et tourne les pages".
Après ces mots, la boule disparut me laissant là, seul, ahuri, comme un idiot.
La lumière de la lucarne éclairait de nouveau le petit bureau. Un gros livre y était posé là. Sa couverture s'ouvrit délicatement. Elle semblait me tendre les bras.
Je n'avais jamais vu de livre de ce genre et pourtant, à la bibliothèque municipale de la ville, j'avais vu toute sortes d'enluminures, des pages écrites avec soin, à la plume et à l'encre de chine, des dorures, des livres de dessins précieux, des textes à l'écriture tordue, aux caractères cyrilliques, des feuillets reliés de ficelles antiques ou de cuir raffiné. Ce livre là semblait sorti d'un conte de fée imaginé par un sorcier farfelu et validé par on ne sait quel dieu nordique.
Sa couverture était certainement réalisée en cuir d'autruche. Il restait d'ailleurs quelques traces de plumes. Elle était épaisse et finement cousue sur un support de bois fin aux arômes délicats. De nombreux caractères inconnus y étaient ciselés ainsi que des figures joyeuses d'elfes dansants. De minuscules pierres précieuses y étaient incrustée en voie lactée de scintillements colorés.
Son papier était délicat avec un toucher soyeux. Les bords n'étaient pas alignés mais les pages n'avaient jamais été cornées. Pas de trace d'usure mais un aspect poussiéreux. Chaque page était associée à un son, une musique particulière. Il suffisait de passer du recto au verso pour l'entendre. Plus vite on tournait la page et plus le son était fort ou rapide. Une page était dédiée au bruit du ruisseau, l'autre au boucan d'un volcan en éruption, au souffle du vent, au chant d'un oiseau. C'était drôle et délicieux.
L'enluminure des pages semblaient, elles, dessinées par un tatoueur médiéval. Elles étaient faites en plein et en délié avec pour thèmes les fleurs ou les serpents, les nuages et les éclairs, les arbres ou encore les ruisseaux. Il en sortait de temps à autre de jolis petits flash de lumière bleus.
Au milieu de l'ouvrage était placée une sorte de boussole qui éclaboussait la pièce de fractales lumineuses. Etrangement, elle me faisait penser aux capteurs de rêves qu'utilisent certaines cultures amérindiennes. Elle se déplaçait à chaque fois que je tournais les pages me montrant les décors délicieux qui accompagnent les récits de l'ouvrage.
Il était une fois. Voilà comment je pensait que s'entame les belles histoires. J'y mettais de beaux ingrédients :
C'est avec cette conception que j'ouvre le livre magique à la page une. L'histoire commence.
Dans le pays des fées et des sorcières, où la magie se mêle à la nature, un phénomène inhabituel perturbe la quiétude de la région. Chaque année, la température augmentait légèrement, mais cette fois-ci, quelque chose d'extraordinaire était en train de se produire. L'été s'annonçait avec une chaleur accablante, bien au-delà de ce que les habitants avaient jamais connu.
Les fées, d'habitude occupées à danser dans les rayons de soleil et à soigner les fleurs, étaient perplexes. Les ruisseaux qui alimentaient les forêts commençaient à se tarir, et les pétales des fleurs scintillaient de détresse. Même les arbres semblaient affaiblis. Les chênes centenaires voyaient leurs feuillages se flétrir sous l'implacable chaleur dégagée par l'étoile de notre système solaire.
La grande assemblée des créatures magiques fut convoquée pour discuter de cette situation préoccupante. Il y avait, bien sur, des fées mais aussi des lutins, des farfadets, des magiciens, magiciennes et autres druides et druidesses venus de toute la contrée.
Parmi les participants se trouvait une jeune fille curieuse et courageuse. Elle écouta les témoignages rapportés par les fées venues de tous les horizons : l'histoires des oiseaux migrateurs qui avaient perdu leur chemin à cause de la chaleur intense, le risque de disparition dramatique des papillons de hautes montagne qui ne trouvaient plus leurs espaces de fraîcheur, l'arrivée en nombre des insectes ravageurs qui mettaient fin au travail laborieux des paysans et bien d'autres dépositions.
Alors que la réunion touchait à sa fin et que les fées ne trouvaient aucune solution, la jeune fille prit la parole :
-"Peut-être que vous pourriez utiliser la magie pour inverser cette tendance. Vous pourriez chercher l'aide des anciennes sorcières qui ont une profonde compréhension des forces de la nature."
La proposition de la jeune fille fut d'abord accueillie par des murmures étonnés. Que faisait une jeune fille dans cette assemblée ? N'y avait-on pas convoqué que les êtres magiques ? Mais rapidement l'approbation pris le dessus des chuchotements. Il n'y avait pas le choix.
Une délégation fut désignée pour se rendre chez les sorcières.
La jeune fille vivait une existence simple et en harmonie avec la nature dans une cabane de pierres sèches, nichée à flanc de montagne.
Humble dans sa construction, la cabane était un refuge où la jeune fille avait choisi de s'installer, loin de la vie fastueuse du palais qui l'avait vu naître.
Chassés par un roi très autoritaire, ses parents étaient parti du château avant qu'elle n'eut ses deux ans. Ils étaient resté discrets sur leurs origines princiers car la population était exaspérée du monarque qui régentait alors la contrée.
Bâtie sans mortier, la cabane reflétait l'ingéniosité de ceux qui l'avaient érigée. Les pierres brutes utilisées pour édifier les murs avaient été rassemblées à proximité conférant à l'abri une impression d'ancrage profond dans la terre qui l'entourait. Conçue par un savoir-faire paysan, la cabane possédait une beauté organique, une esthétique naturelle produite de la fusion de l'homme et de la nature. Les irrégularités des pierres, leur texture brute et leur agencement s'intégraient naturellement dans le paysage montagneux
Chaque matin, la jeune femme se réveillait au doux chant des oiseaux. Ses journées étaient rythmées par les cycles de la nature. Elle se rendait régulièrement dans l'espace qu'elle avait aménagé pour la cuisine et la toilette. Les étagères étaient remplies de simples ustensiles et le foyer était utilisé pour cuisiner des repas modestes à partir d'ingrédients cultivés dans un petit jardin à proximité. Avec la chaleur de l'été, elle y allait pour se rafraîchir le visage. Il y avait là une petite vasque de pierre où s'écoulait lentement l'eau fraiche captée d'une source de montagne.
La source qui alimentait la vasque était, pour elle, un trésor. Elle représentait bien plus qu'un simple filet d'eau. C'était un lien avec la montagne, avec les racines profondes de la terre. Cette source, qui coulait habituellement de manière constante et pure, symbolisait, pour elle, la persévérance et la vitalité. Chaque goutte qui s'écoulait rappelait à la princesse la nécessité de protéger et de préserver la beauté fragile de son environnement. Mais, depuis quelques temps, la source coulait moins drue.
Ce soir là, revenue de l'assemblée des créatures magiques, la princesse était assise près de l'unique fenêtre de la cabane regardant le coucher du soleil sur les montagnes. Les couleurs chaudes du crépuscule se mêlaient aux ombres noires s'étendant lentement sur la vallée en contrebas.
Elle laissa s'échapper un long soupir, espérant que les fées réussissent à convaincre les sorcières. Il fallait inverser la montée inexorable de la température dans la contrée.
Alors que je tournais la page du livre mystérieux, je constatais que l'auteur avait oublié de me faire le récit du roi et de la sorcière. Il me transporta plutôt vers une forêt ensorcelée, où le vent créait une rengaine en effleurant les feuilles. Elles résonnaient comme un chuchotement de foule avant le début d'une grande symphonie.
À quelques pas de là, un ruisseau enjoué ajoutait sa note aiguë à la symphonie du vent. Tout était limpide et magnifique. L'enchantement qui régnait était palpable. La lumière douce semblait irradier depuis l'extrémité du sentier serpentant à travers les diverses essences végétales. Certains arbres se dressaient droits, d'autres arboraient des courbes gracieuses. Il y en avait également des tordus et des noueux. Certains portaient encore les vestiges de fleurs printanières, tandis que d'autres, plus modestes, s'étendaient au sol sous forme de tapis verts.
Cette clarté délicieuse attira deux enfants, deux petites filles apprêtées pour la nuit mais que la musique du vent empêchait de dormir. Elles contemplent l'artifice lumineux en se laissant imprégner des respirations du vent, de la voix aigüe du ruisseau et du passage furtif des animaux.
Elles n'ont pas peur, depuis longtemps elles ne croient plus que les loups sont méchants et que les sangliers sont inhumains. Elles avaient catégoriquement refusé d'explorer les histoires, même romancées, ayant trait aux animaux méchants. Elles avaient déjà croisé, même si c'était bien trop rare à leur goût, une famille de blaireau, le renard et l'écureuil roux.
Patiemment, elles attendaient que ces êtres familiers se montrent au sein de cette lueur enchantée.
Je poursuis mon exploration de la page suivante avec d'infimes précautions. Les fillettes sont toujours là. Elles se tiennent, discrètes, à la bordure du livre.
Divers sons atteignent leurs oreilles. Le chant du ruisseau leur est familier. Elles l'ont déjà entendu sur les premières pages du livre. Néanmoins, une résonnance les intriguait plus que les autres. Un son similaire à celui produit lorsqu'on souffle légèrement sur le bord d'une feuille de papier.
Je suis surpris. Il s'agit d'un feulement. J'arrête de tourner la page et la protestation du félin cesse. Je reprends mon mouvement. Fffffh ! Le signal d'un grand chat dérangé reprend fortement, s'estompant finalement une fois le livre totalement ouvert.
Deux grands yeux de lynx me regardent puis observent les fillettes. Le grand chat sauvage se tient là, au pied de plantes exotiques. C'est un animal fantôme, une créature qu'elles n'avaient jamais eu la chance de croiser en pleine liberté. Pourtant, dans ce livre féérique, il est là, présent à proximité d'un ruisseau enchanteur. Le lynx vient s'y désaltérer régulièrement. Il sait que les menthes poivrées y trempent souvent leurs feuillages en y déposant une empreinte rafraîchissante.
La présence des petits bouts de femme à l'orée des pages du livre, l'a surpris. Il n'est pas habitué à voir des enfants dans cet ouvrage. Ce prédateur précieux pour nos forêts évite généralement la présence humaine mais il a deviné que les deux petites filles sont des personnalités fabuleuses. De leur coté, les deux fillettes savent que cet être discret ne leur causera aucun mal.
Le lynx leur dit :
- "Bonjour mes petites fées, que faites vous là ?"
- "Bonjour le lynx. Nous sommes mandatées par l'assemblée des créatures magiques d'aller à la rencontre des sorcières. Il fait de plus en plus chaud sur notre territoire. Il faut, avant qu'il ne soit trop tard, inverser cette triste tendance."
Le lynx exprima, à regret, son sentiment d'une voix basse :
- "Je ne suis pas sûr que les sorcières puissent faire grand chose pour vous. Je vous conseille plutôt de rencontrer Elan majestueux."
Fières d'avoir été identifiées par le lynx, les petites fées écoutent ses conseils et poursuivirent un bout de leur chemin. Enfin fatiguées, elles s'allongent sur une mousse pour rêver dans les bras de Morphée, un des mille enfants d'Hypnos, le dieu du sommeil.
La page suivante du livre me paraît étrange et semble ne pas continuer l'histoire précédente. Elle me présente un champignon.
Il émerge avec une grâce singulière d'un vieux bois mort comme s'il était le fruit d'une alliance intime entre la nature et le temps. Son pied, unique et d'une teinte blanche légèrement veinée, s'enfonce dans le bois mou. Il est solidement ancré à la branche qui l'a fait naître.
Son chapeau lisse, d'un éclat délicat est le point central de son charme mystique. Il semble avoir capturé un fragment du ciel. Sa surface nacrée, à peine altérée par des nuances discrètes, reflète les tonalités changeantes de la lumière filtrée à travers la canopée. Les rayons du soleil, en perçant les feuillages mouvants, le faisaient scintiller tel un joyau terrestre.
Des lignes délicates parcouraient le chapeau, comme une cascade miniature dessinée par la main habile de la nature. Elles révélaient des secrets insoupçonnés, des récits tissés autrefois dans les fibres du vieux chêne.
Des mousses brodaient un tapis vert luxuriant autour du champignon. Elles créaient un écrin d'une douceur infinie. L'environnement semblait s'être adapté pour accueillir avec grâce cette pousse étonnante, offrant au champignon une scène où il pouvait se déployer en toute quiétude.
Bien qu'apparemment simple, le champignon portait en lui une aura d'énigme et de magie, comme si son existence était une métaphore des mystères enchanteurs que recèle la nature. Dans cet univers où la beauté et le mystère s'entrelacent, il demeurait un rébus délicat, une œuvre d'art éphémère érigée par les doigts invisibles de la vie.
Quelques arbres, plus jeunes, étaient agenouillés au pied du vieux chêne terrassé par l'âge. Regardent ils le champignon, fossoyeur du bois mort avec mélancolie, ou bien prient ils pour indiquer au chêne une voie plus rapide vers le paradis des êtres de la forêt ?
Nul ne le saura à part deux mouches confidentes installées là pour contempler la lueur magique du sous-bois.
Elles ont aperçues deux petites filles qui vont passer la nuit installées sur le tapis de mousse. L'une disait à l'autre :
- "Peut importe ce que nous a dit le lynx, nous irons voir les sorcières."
- "Chut, soeurette ! On verra ça demain, écoute plutôt la berceuse du vent et du ruisseau."
Rien ne bougeait dans ce paysage étouffant. La température avait encore monté d'un cran. Les arbres accrochaient le soleil, les orages tonnaient, la foudre ajoutait des éclairs de lumière. Le vent ne soufflait quasiment pas et lorsqu'il prenait la peine de s'animer, il s'apparentait à un sèche cheveux réglé sur la température la plus haute.
Ce n'était pas l'été qui avait pris place, mais plutôt la lave en fusion provenant de tous les volcans de la terre, un feu qui semblait jaillir des abîmes infernaux.
Cisor, était une sorcière qui élevait des oiseaux, mi-corbeaux, mi-rapaces spécialisés dans la livraison de messages entre le monde des humains et le monde des esprits. Elle était isolée des autres sorcières qui ne supportaient pas le criaillement de ses volatiles.
Avec la montée des températures, elle était restée cloîtrée dans la tour obscure et ténébreuse qui lui servait de demeure. Habituellement impitoyable, elle n'avait pas eu la cruauté de garder enfermés ses messagers ailés. D'une manière inaccoutumée, elle avait choisi de les libérer. Les sombres cages de fer où les oiseaux étaient confinés avaient marqué leurs pattes qui brûlaient encore sous l'empreinte de leur geôle de métal.
La sorcière, accablée par la chaleur partageait le même calvaire que la princesse et les créatures magiques, tous en proie à cette fournaise implacable.
Ce matin là, Cisor entendit frapper à la grande porte de la tour. Elle se précipita vers une lucarne discrète pour jeter un coup d'œil. Au début, la sorcière ne reconnut pas les deux petites fées désignées par l'assemblée des créatures magiques, Les fillettes ne portaient pas leurs ailes. Cela la rendit hésitante à ouvrir.
-"S'il vous plaît, Cisor, faites nous entrer dans votre tour fraiche. Dehors, il fait vraiment trop chaud. Nous avons un message à transmettre à l'assemblée des sorcières"
La sorcière, ne ressentait aucune envie cruelle ce jour-là. De plus, les fillettes connaissaient son nom, elle en était touchée. Elle décida d'ouvrir le portail, les fit entrer et referma rapidement la grande porte de fer déjà rougie par le feu. Ensemble, elles se dirigèrent vers une pièce mieux isolée de la fournaise extérieure.
Les deux petites fées expliquèrent la situation mais Cisor ne souhaitait pas déranger l'assemblée des sorcières. Elle voulut les aider. Mais avec cette température insoutenable, Cisor peinait à rassembler la force nécessaire pour faire bouger le bout de sa baguette maléfique. Elle se trouvait, par ailleurs, désarmée, ignorant comment employer sa magie pour apaiser les douleurs.
-"Je suis désolée mes demoiselles, je ne peux pas régler ce problème seule. Je dois me rendre dans la vallée des sorcières me protéger de la chaleur. Je vous y emmène. Vous y serez reçues par Ganamor mais, avant tout, promettez moi de garder secret la contrée où je vous conduis."
Les deux petites fées jurèrent de ne rien dire et se mirent en marche. Guidées par Cisor, elles allèrent à la rencontre de l'assemblée des sorcières.
Conduites par Cisor les petites fées traversèrent de nombreuses plaines assoiffées et des forêts brûlantes pour atteindre la contrée énigmatique des sorcières. Ces dernières, vivaient dans une vallée cachée entre les montagnes. Elles s'étaient retirées du monde depuis des siècles. Le lieu devait être tenu secret.
Cisor fit tout ce qui était nécessaire pour persuader les sorcières d'accepter de recevoir les petites fées. Elles furent accueillies par Ganamor, l'ancienne et sage sorcière en chef.
Après que les petites fées aient exposé tous les témoignages recueillis lors de l'assemblée des êtres magiques, Ganamor se retira. Feuilletant les pages d'un livre minuscule, elle fit une incantation avant de revenir. Elle expliqua que le déséquilibre dans le pays des créatures magiques était causé par une perturbation des flux écologiques naturels.
Une grande cérémonie fut organisée. Les sorcières invoquèrent leurs connaissances ancestrales pour rétablir l'harmonie entre la magie et la nature. Des vents doux commencèrent à souffler, apportant des nuages bienvenus qui obscurcirent le soleil brûlant.
Au fil des jours, la température commença à baisser doucement, trop doucement. La magie des sorcières n'avait pas totalement réussi à rétablir l'équilibre. Elles n'étaient pas habituées à interférer avec les éléments pour adoucir le temps. Elles préféraient généralement s'amuser à invoquer l'orage, s'amuser avec les éclairs et faire souffler des rafales.
La chaleur était redevenue supportable mais empêchait encore les plantes de pousser. Les oiseaux migrateurs n'avaient toujours pas retrouvé leur chemin, les papillons se raréfiaient toujours plus. Le problème de la température n'était pas encore totalement réglé.
Ganamor dit gentiment aux deux petites filles:
- "Je suis désolée, nous ne pouvons pas faire plus. Je vous conseille de trouver Féverte. Ce n'est pas vraiment une fée, elle n'a pas eu la permission de se rendre à l'assemblée des créatures magiques mais elle a des pouvoirs que nous même ne comprenons pas. Elle est sensible, ne la brusquez pas."
Depuis la nuit des temps, les animaux s'étaient constitués en un groupe solidaire afin que l'équilibre des choses de la Terre soit préservé. Chaque créature avait son rôle précis, une tâche essentielle pour maintenir l'harmonie dans la nature.
Au cœur de cette vaste communauté, se tenait une assemblée régulière où les représentants de chaque espèce se réunissaient pour discuter des défis et des enjeux qui se présentaient. Cette assemblée, appelée "Les gardiens de la Terre", était dirigée par Elan majestueux, un élan sage et respecté de tous.
Avec le réchauffement que le soleil imposait à la Terre, un vent d'inquiétude soufflait à travers la forêt. Les rivières se vidaient de leur eau, les arbres dépérissaient, leurs feuillages tombant vers le sol, et les oiseaux n'osaient plus ouvrir leur bec pour chanter. Les animaux avaient conscience que, cette fois, l'équilibre de la Terre était menacé. Elan majestueux convoqua les membres du groupe pour trouver une solution.
Les animaux se rassemblèrent dans une clairière préservée du regard des curieux. Elan majestueux prit la parole :
- "Chers amis, notre monde est en danger. Nous ne connaissons pas l'origine de cette montée de chaleur mais nous devons agir vite pour rétablir l'équilibre. Avez-vous une idée d'une action que nous pourrions mener ?"
Un silence s'abattit sur l'assemblée, personne n'avait la réponse. Les gardiens de la Terre n'avaient jamais été confrontés à une telle situation.
Une petite tortue s'avança timidement.
- "Peut-être pourrions-nous demander l'aide de Fée bleue ?" dit-elle.
Les autres animaux échangèrent des regards sceptiques. Fée bleue semblait perdre ses pouvoir depuis quelques temps. Cependant, une jeune corneille s'envola et ajouta d'une voix criarde et assez désagréable :
- "Raaah ! J'ai entendu dire que Fée bleue se soucie également de notre planète. Peut-être pourrait-elle simplement nous guider. Raaah ! Ensemble nous pourrons mutualiser nos forces pour restaurer notre environnement. Rhhhh !"
Elan majestueux applaudit cette idée. Il aimait regrouper les savoir-faire de chacun pour aider la communauté. Il déclara :
- "Si nous voulons préserver l'équilibre de la Terre, nous devons rechercher activement Féé bleue. Elle se fait rare depuis plusieurs années."
Les gardiens de la terre venaient de se réunir. Ils voulaient agir pour retrouver une température de l'air agréable pour l'ensemble des êtres vivants. Cette communauté était dirigée par Elan majestueux, un élan semblable à ceux que l'on peut encore croiser dans les contrées sauvages de Pologne. Mandaté par l'assemblée des animaux, paré de ses plus beaux bois, il émergea de son abri secret avec l'intention d'améliorer la situation.
Encouragé par la petite tortue, son désir était de rencontrer Fée bleue. Elle maîtrisait l'eau et possédait la puissance nécessaire pour commander aux nuages. Mais Fée bleue était introuvable, comme évaporée depuis plusieurs années. Face à cette absence, l'élan se trouva devant la nécessité d'agir seul, même s'il ne pouvait pas accomplir grand-chose à part piétiner l'herbe incandescente sous ses grandes pattes ornées de chaussettes blanches. Conscient de l'urgence de la situation, il entreprit une quête de solutions simples et efficaces, .
En compagnie de la communauté des gardiens de la Terre, il réussit à mobiliser tous les animaux de la contrée. Il fut convaincant dans son appel à répandre des graines et des semences. Son but était de revitaliser les forêts et les bois, les futaies et les champs. L'élan savait que les arbres fourniraient l'oxygène nécessaire à l'air ambiant, et que, combinés avec l'eau puisée des profondeurs de la terre, ils engendreraient des nuages bienfaisants.
Avec ses amis il ne perdit pas de temps semant sur les collines, dans les vallées, sur les raidillons les plus pentus des montagnes des milliers de graines d'arbres et d'autres végétaux en diverses variétés. Entre les champs, ils parsemèrent des arbustes, des baliveaux et des arbrisseaux divers. Ils ne ménagèrent pas leurs efforts. Les mammifères les plus imposants retournant la terre, Les oiseaux semant les graines, les petits rongeurs et les lapins recouvrant les graines d'un peu de terre. Les écureuils étaient chargé de planter les noisettes.
La croissance des arbres était lente, un peu de pluie aurait fait du bien. Elan majestueux savait qu'il manquait une touche de magie pour accomplir son dessein, mais, en l'absence de Fée bleue, il ne savait à qui s'adresser pour améliorer la pousse des arbres. Il était convaincu cependant que son plan déciderait un des esprits du bois à se manifester, qu'il s'agisse de Fée bleue ou d'un autre enchanteur malin. L'élan espérait qu'il sortirait de la fraicheur de son abri. Cette créature devait agir. Il avait hâte de la rencontrer.
Au début du jour, au moment où le soleil pénètre tout juste dans la forêt il était possible de rencontrer Fée bleue. C'était l'heure de sa promenade quotidienne. Baguette magique à la main elle avait pour habitude de rendre visite au roi des loup. Un loup noir, sombre et solitaire, un loup qui avait déjà bien vécu.
Il avait maintenant assuré sa descendance et laissé sa place au sein de la meute à son fils cadet. Il profitait d'une retraite de loup bien méritée. Il avait déjà douze ans, une date limite pour un loup sauvage.
En douze années loup noir avait eu le temps de faire bien des bêtises.
Une année, notamment, l'appétit lui tenaillait l'estomac. Les chasseurs avaient prélevé un plus grand nombre de chevreuils et de petits gibiers que d'ordinaire. Il ne restait plus rien. Il s'était résigné à s'attaquer à un troupeau de moutons mais un chien imposant, nourri à souhait, avait rapidement mis un terme à ses intentions. Il avait, cette année là, dû se contenter de garennes et de jeunes souriceaux.
Une autre fois, il avait fait la cour a une jolie dalmatienne qui vivait dans une modeste ferme isolée. L'idylle fut de courte durée, car son maître se hâta de les séparer. La dalmatienne n'avait pas l'âme d'une gardienne de moutons, elle fut contrainte de quitter les lieux.
Plus récemment, il s'était lié d'amitié avec une grand-mère à la vue un peu basse. Il assurait le gardiennage de la petite maison construite en plein bois. En retour mère-grand lui permettait de finir les petits pots de beurre que lui apportait régulièrement sa fidèle servante. Tout se passait pour le mieux jusqu'au jour où Grand-mère prit le chemin du ciel. La servante, habillée de rouge, alla tromper le village en racontant que loup noir l'avait dévorée.
Sa dernière bêtise était de n'avoir rien dit aux gardiens de la Terre sur ses rencontres régulières avec Fée bleue, laissant Elan majestueux se lamenter de ne pas la trouver.
Le roi des loup avait l'habitude de croiser Fée bleue, il en était très content car, souvent, elle faisait jouer sa baguette magique pour faire apparaitre devant lui de la nourriture fraîche et des friandises dont il raffolait. Le roi des loups était bien conscient que Fée bleue ne faisait pas cela pour tous les membres de son espèce, et cela lui procurait un orgueil modeste et sincère. En guise de reconnaissance, il consentait à Fée bleue le droit à une caresse.
De son côté, Fée bleue éprouvait une affection particulière pour ce loup. Son grand âge lui avait permis de rencontrer de nombreux canidés sauvages, mais celui-ci était différent. Elle le trouvait à la fois charmant et distingué. De plus, elle pouvait le toucher, c'était un privilège car les loups noirs sont souvent très méfiants et peu enclins aux marques d'affection.
Ce matin là, elle était venue à la source enchantée pour recharger l'énergie de sa baguette. Son pouvoir magique semblait se vider plus rapidement ces derniers temps. Il était probable qu'elle ait à remplacer bientôt le cœur de sureau. C'est lui qui concentrait le pouvoir fantastique du morceau de bois.
Loup noir s'adressa à elle :
- "Sait tu, Fée bleue, qu'Elan majestueux te cherche désespérément ?"
Elle répondit avec beaucoup de détails :
- "Oui, je sais, mais je ne peux rien pour lui. Mon pouvoir n'est pas immense, ma baguette s'épuise et me permet tout juste de conserver la fraicheur de ce petit bois et du trou d'eau où ta famille se désaltère. Rassure toi, je connais une personne qui a plus de pouvoir que toutes les fées et les sorcières réunies. Elle seule, si elle le décide, pourra régler le grave problème qui nous préoccupe tous aujourd'hui. Je l'ai chargé de surveiller le travail qu'Elan majestueux réalise."
Loup noir écouta attentivement les explications de Fée bleue. Il était soulagé d'entendre que sa protectrice, bien qu'ayant des pouvoirs limités, contribuait à maintenir un peu d'eau fraîche pour sa famille. Cependant, ses pensées étaient toujours tournées vers le sort de sa contrée en détresse.
En entendant Fée bleue parler de cette femme au pouvoir immense, il avait ressenti, enfin, un peu d'espoir. Loup noir savait que la situation nécessitait une intervention puissante et il espérait ardemment que cette femme serait à la hauteur du défi.
La baguette enfin rechargée, la fée fit un au revoir au loup qui, après avoir bien mangé, lapait à la source une eau un peu mentholée laissée fraiche par la bonté de Fée bleue.
Avec un regard déterminé, il remercia Fée bleue pour les informations qu'elle lui avait confié et se tourna vers l'étendue grise qui s'étendait devant lui. Dans l'ombre de la nuit, il laissa échapper un long hurlement, mélange de frustration, d'espoir et de désir ardent de voir sa contrée renaître.
Fèverte n'était pas ce que l'on pourrait véritablement qualifier de fée. Elle n'accordait pas d'attention aux berceaux des nouveau-nés et ne jetait pas de sorts, qu'ils soient bienveillants ou maléfiques, sur les humains.
Son nom avait induit en erreur tout le territoire, laissant croire qu'elle était une fée vêtue de vert. En réalité, Fèverte était un femme qui présentait bien des similitudes avec les esprits évoquées dans les croyances amérindiennes. Elle aurait pu être la soeur de Manitou, l'esprit suprême des algonquins ou de Tabal-dak, l'esprit créateur des abénaquis ou même encore la fille d'Oranda, vénéré par les iroquois. Elle figurait d’ailleurs chez-eux sur de nombreux totems.
À sa naissance, une fève sèche, dure et rabougrie, était tombée sur le sol infertile situé près de son berceau. La graine s'était mystérieusement mise à germer. En découvrant ce phénomène singulièrement exceptionnel, ses parents avaient tout naturellement choisi de nommer leur bébé "Fèverte" afin de perpétuer le souvenir de cet événement hors du commun.
Dès son plus jeune âge, elle avait révélé des pouvoirs prodigieux, qu'elle utilisait avec une grande parcimonie. Parmi ses talents, on comptait notamment la capacité de manipuler le temps, une aptitude qu'elle maîtrisait avec une prudence extrême. Elle était également créatrice de nombreuses sources nourrissant les grands fleuves de la terre.
Bien que de nombreuses légendes humaines parlent d'elle dans des contes imaginaires, les animaux en avaient la certitude : Fèverte était bien réelle.
Fèverte avait été mandatée par Fée bleue pour observer avec attention le travail acharné d'Elan majestueux et des gardiens de la Terre. Ils s'efforçaient de planter inlassablement, semant avec précaution, veillant à laisser à chaque jeune pousse l'espace nécessaire à son épanouissement. Elle avait même trouvé ingénieuse l'idée de l'élan qui consistait à varier les semences dans chacune des parcelles.
Fèverte approuvait les efforts accomplis par l'élan et les gardiens de la terre mais elle doutait de leur capacité à modifier la température ambiante. Avec patience elle attendit quelques jours, observant de loin les résultats. Elle constata rapidement que les nouvelles plantations dépérissaient peu à peu. Devant ce triste constat, une profonde tristesse l'envahit. Elle n'avait pas vraiment conscience de l'étendue de ses pouvoirs et pensait qu'elle ne les maîtrisait pas suffisamment pour régler ce problème. Une larme glissa le long de sa joue, bientôt suivie d'une seconde.
En atteignant le sol, la première larme fit jaillir une source à l’eau abondante. La seconde larme, gorgée de nutriments, s'unifia avec la première, arrosant généreusement le sol tout autour d’elle. Les plantes nourries sur le parcours du ruisseau nouvellement né, relevèrent la tête s'épanouissant grâce à cette manne inattendue.
Mais Fèverte était persuadée qu’il était déjà trop tard. Elle s'apprêtait à partir lorsque la fille d'Elan majestueux se présenta devant elle, une lueur d'espoir dans les yeux :
- "Bonjour Fée verte, ne partez pas déjà, mon père a vu ce que vous avez fait avec deux de vos larmes, Il est aujourd'hui empli d'espoir quant à l'avenir."
Fèverte lui répondit d'une voix franche et un peu exaspérée :
- "Sache, gamine, que je ne suis pas une fée. Appelle moi Fèverte en un seul mot s’il te plaît et donne-moi une seule bonne raison pour que j’intervienne."
- "Fèverte, ne partez pas, si vous n'agissez pas, vous feriez tout simplement mourir mon père."
-"Ta pensée pour ton père est louable, jeune fille, je vais donc utiliser mes pouvoirs, mais pas spécifiquement pour lui. Sa vie avance en âge et je dois, pour précipiter la pousse des plantes, accélérer le temps. Ton père n'aura plus, hélas, que peu de temps à vivre. Je vais agir pour toi. Je veux offrir à ton existence et à celle de ta communauté une vie plus douce et dépourvue des fardeaux du passé. Je vais accélérer la pousse des plants semés par tes amis pour te donner un air plus frais. Elan majestueux, ton père, a réussi à me convaincre. Ses efforts ne seront pas vains."
Fèverte leva les yeux vers le ciel. Aussitôt les flammes dansèrent autour d'elle dans une spirale envoûtante. Le temps prit un rythme accéléré. Devant leurs yeux ébahis, la rivière des larmes devint une rivière, s'élargissant en delta, les arbres se mirent à pousser à une vitesse fulgurante, de nouvelles plantations émergèrent du sol, réduisant en un claquement de doigt, le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. L'air devint aussitôt plus respirable.
L'eau absorbée par les racines des plantes fut libérée par les feuilles et transformée en nuages. Peu à peu cirrus, stratus, cumulonimbus commencèrent à se rassembler, voilant le soleil brulant. La température ambiante chuta de quelques degrés, offrant un soulagement bienvenu à la terre et à ses habitants. La transformation magique était en cours.
Elan majestueux observa sa fille avec un sourire de contentement, empreint de gratitude envers Fèverte. Lorsqu'il se tourna pour exprimer ses remerciements, il s'aperçut que la mystérieuse créature avait déjà disparu.
Le vieil élan et sa fille posèrent les genoux à terre, puis s'étendant sur le sol, il se relâchèrent enfin. La jeune fille n'avait jamais été aussi proche de son père, leurs rires fusionnèrent dans un moment d'affection partagée. Épuisés par les efforts déployés au cours des derniers jours, ils s'endormirent ensemble, bercés par le doux écho du travail accompli et par les promesses d'un avenir transformé.
Fèverte avait pris soin d'avertir la fille de l'élan majestueux. Elle lui avait expliqué que l'accélération du temps aurait inévitablement des conséquences sur le vieillissement de son père, rendant ses signes de faiblesse de plus en plus apparents.
Les signes de l'affaiblissement de l'élan n'étaient, jusque là, pas particulièrement visibles. Quelques poils gris étaient apparus il y a quelque temps, mais aujourd'hui, sa toison était presque entièrement blanche, parsemée de zones où les touffes de poils avaient complètement disparu. Sa jambe gauche, plus courte, le faisait boiter de plus en plus. Ses yeux ne parvenaient plus à discerner avec autant d'acuité les obstacles tels que les épines et les ronces sur son chemin. Les marques du temps s'étaient imprimées sur lui de manière irrémédiable.
Les herbes aquatiques de l'été, les écorces et les lichens de l'hiver n'avaient plus le goût familier qu'il avait connu dans sa jeunesse. Sa mère l'emmenait souvent sur les bords du marais où les jeunes pousses perçaient à peine la surface. Leur teinte verdoyante et la résurgence des libellules avec le retour du printemps demeuraient à jamais gravées dans ses souvenirs. Le printemps, avec son renouveau, avait toujours été sa saison préférée.
L'automne de sa vie s'était installé. Il devait encore traverser l’hiver. Seul, il doutait de sa capacité à résister longtemps. Les eaux étaient devenues trop froides. Elles réveillaient les blessures qu'il avait jadis endurées. Elles s'étaient ranimées en un souffrant rappels d'une existence bien remplie.
Les douleurs qu'il ressentait étaient presque insoutenables. Elles ravivaient en lui les souvenirs des luttes qu'il avait menées, défendant farouchement son fils ainé, sa fille et sa communauté contre les prédateurs qui menaçaient. Elles faisaient ressurgir les échos des brames puissants et des batailles acharnées livrées contre ses amis de longue date. Tous convoitaient la même femelle, mais c'était finalement à lui qu'elle avait accordé ses faveurs, en dépit de ses blessures et de son refus de combat contre son camarade le plus cher.
Ces douleurs étaient bien plus qu'une simple sensation physique, elles étaient le reflet d'une vie riche en épreuves et en triomphes, un témoignage de sa détermination à protéger et à préserver tout ce qui lui était le plus cher.
Depuis quelques temps, l'élan majestueux avait renoncé à l'idée de parcourir librement son territoire. Il avait établi son lieu de résidence à l'orée d'un bois, à proximité des zones humides qui lui offraient un certain degré de sécurité. Il évitait de s'aventurer au-delà de cette zone familière, qui lui procurait un semblant de refuge. Son fils, sa fille et sa sœur prenaient tour à tour soin de lui, lui apportant de l'herbe fraîche provenant de l'étang voisin, quelques champignons et de temps en temps de délicieux fruits rouges.
Il était conscient des sacrifices que faisaient ses proches pour lui. Ils étaient encore jeunes et pleins d'énergie pour explorer, rencontrer d'autres clans, jouer avec leurs enfants et s'éclabousser joyeusement dans l'eau. Ils se dévouaient pour prendre soin de lui. Elan majestueux insistait pour qu'ils le laissent en paix, affirmant qu'il pouvait se débrouiller seul, comme il l'avait fait jusqu'à présent. Il leur lançait parfois des injonctions teintées de colère, les enjoignant de le laisser tranquille :
-"Allez au diable et laissez-moi", leur disait-il souvent.
Conscient de ses limites, Elan majestueux reconnaissait que son autonomie s'était érodée et que les herbes croissant près de l'étang ne pourraient pas pousser assez rapidement pour assurer sa subsistance tout au long de l'année. Dépendre uniquement de ces maigres ressources aurait été insuffisant. Son incapacité à se déplacer au-delà d'une centaine de mètres l'empêchait de rechercher d'autres sources de nourriture.
Les baies cueillies à l'orée du bois étaient une friandise qu'il appréciait particulièrement, mais elles ne se régénéraient qu'une fois par an, laissant de longs intervalles où la nourriture se faisait rare. Les écorces des arbres avaient déjà été largement rognées. Elles ne constituaient plus un palliatif durable. La réalité de sa situation devenait de plus en plus évidente, et la dépendance envers ses proches grandissait.
Un jour sa fille arrivée un peu plus tôt qu’à l’habitude trouva la place vide. Son père n’était plus là. Les empreintes déposées dans la terre humide ne laissaient aucun doute, les sabots du côté gauche s'enfonçaient plus profondément dans la boue, c’était bien les traces de son père. Il devait boiter fort, les marques étaient profondes. Elle suivi les indices sur cent mètres, puis deux cents, puis cent mètre encore.
Au loin, elle repéra Elan majestueux en train de pénétrer dans le bois où résidait Orpaix, un prédateur redouté et impitoyable. Son cœur se serra d'inquiétude et elle se mit à courir pour le rattraper, voulant lui promettre qu'elle s'occuperait toujours de lui, qu'elle serait là pour le soutenir. Ses pas étaient précipités par un sentiment d'urgence. Quand elle arriva sur les lieux, il était déjà trop tard. Les traces s'arrêtaient net, marquant la fin du chemin tracé par son père.
La musique du vent étouffait la cadence des sabots lents du vieil élan. C'était une mélodie triste et cotonneuse qui empêchait la fille d'Elan majestueux d'avoir une pensée ordonnée. Un froid subit envahit son cœur et elle se retrouva submergé par une sensation de solitude. L'évidence la frappa : son père était parti pour toujours. Elle fit demi-tour, entamant le chemin du retour.
Elle remarqua alors que toutes les baies rouges de l'hiver avaient été soigneusement cueillies le long du chemin parcouru par son père. Elle réalisa qu'il s'agissait des baies que son père avait lui-même semées avec elle.
Une baie n'avait pas été ramassée. Doucement, elle prit cette dernière entre ses dents. Sentant sa maturité parfaite, elle la fit glisser dans sa gueule avec précaution. Une vague de compréhension l'envahit alors. En savourant la saveur sucrée de la baie, elle sut instinctivement que son père s'en était régalé lors de son dernier voyage. C'était comme si ce simple acte, transcendant l'espace et le temps, était devenu un lien intime entre elle et lui.
Je tourne doucement la page suivante, mais elle m'échappe des mains. Elle se retourne brusquement, déclenchant un souffle chaud qui soulève mes cheveux. Mon instinct me pousse à refermer la page, mais c'est en vain. Le souffle est trop puissant, m'obligeant à poursuivre la lecture de ce chapitre jusqu'à son terme.
Le vent chaud était en furie. Lui qui autrefois fredonnait de jolies mélodies dans les sous-bois, lui qui soulevait délicatement les jupes de la mer, lui qui caressait, en jouant, les herbes et les feuillages, avait transformé la musique de son orchestre en une symphonie désordonnée. Les violons et les flûtes avaient été remplacés par des contrebasses et des grosses caisses assourdissantes. Les clarinettes joyeuses avaient été éclipsées par des trombones rugissants. Même le piano avait perdu ses notes aiguës, sa table d'harmonie avait été brisée.
Le vent refusait d'être apaisé par les nuages. Il tourbillonnait autour d'eux, changeant de direction à chaque instant, de droite à gauche, de gauche à droite, montant et descendant. Il tentait de les éparpiller en vain. Les nuages, au contact du vent, s'élevaient encore plus haut, à la recherche d'airs frais, puis retombaient vers le sol presque gelés. Cette résistance frustrait le vent qui grondait de colère. Des fracas retentissaient : Baoum ! Raoum ! Crac et recrac !
La cacophonie du vent résonnait dans l'air, mais même son bruit assourdissant n'empêchait pas les nuages de répandre leur fraîcheur sur la contrée. Le vent, de plus en plus enragé, se déchaîna contre les oiseaux. Il séparait les mâles des femelles, s'amusant à précipiter les oisillons de leurs nids. Les oiseaux migrateurs du Nord se retrouvèrent au Sud, et vice versa. Un cygne fut déposé en haut d'un arbre, un pic noir fut projeté au milieu des flots, tandis qu'une colombe, son aile brisée, s'écrasa contre un arbre avant de se réfugier au fond du bois.
La colombe entreprit alors un voyage vers le clan des cerfs pour y trouver de l'aide. Elle connaissait un jeune cerf. Il n'était pas le plus puissant, mais certainement le plus résolu. Sa détermination était reconnue de tous, et même les cerfs les plus robustes hésitaient à se mesurer à lui. La colombe raconta sa mésaventure aux animaux du bois, expliquant la situation désespérée causée par la tempête enragée. Cependant, ils semblaient désarmés. Elle se rendit compte qu'eux aussi se sentaient impuissants face à la furie de cette tempête.
Le jeune cerf prit les choses en main. Il fit appel à sa tribu pour qu'ils l'accompagnent. Sa réputation de sagesse était bien établie, et généralement, tous suivaient ses conseils. Bien qu'ils aient hésité face à la situation dangereuse, ils finirent par se rassembler et se mettre en marche ensemble, formant un groupe compact pour résister aux assauts du vent qui ne pouvait plus les faire trébucher ni reculer.
Ils allèrent jusqu’à la mare verte ou s’étaient réfugiés tous les canard colverts du pays. Aplatis à la surface de l’eau, le vent n’avait aucune prise sur eux. Quand les cerfs arrivèrent à la mare, les colverts étaient là, très nombreux. Le jeune cerf leur expliqua son plan. Il était grand temps car le vent s’énervait de ne pouvoir faire reculer la harde.
Ils progressèrent jusqu'à la mare verte où s'étaient réfugiés tous les canards colverts du pays. Aplatis à la surface de l'eau, le vent n'avait aucune prise sur eux. Lorsque la tribu du jeune cerf rejoignit la mare, elle y trouva les colverts en grand nombre. Le jeune cerf leur expliqua son plan. Il était grand temps car le vent devenait de plus en plus agité, frustré de ne pouvoir faire reculer la harde.
Le vent avait entamé un demi-tour en gonflant ses poumons. Il faisait résonner ses tambours et s'entrechoquer ses cymbales. Il s’apprêtait à faire alliance avec l’orage. Il n'en eut pas le temps. Le jeune cerf s'était avancé, se détachant du groupe. Il releva fièrement la tête, décidé à défier le vent. Ce dernier, arborant un sourire disgracieux, s'approcha du cerf, s'avançant encore, toujours plus près.
Arrivé à quelques mètres, tous les colverts s'élevèrent en un mouvement coordonné, battant leurs ailes à l'unisson. Le vent, pris au dépourvu, lutta pour reprendre son souffle, tentant désespérément de s'accrocher aux bois du cerf. Cependant, l'effet de masse des colverts en plein vol était puissant. Leurs ailes agissant comme un contrevent, le vent fut repoussé, incapable de résister à la force conjuguée de leurs mouvements.
En un clin d'œil, le vent se calma, ses tambours tumultueux se transformaient en percussions chamaniques invitant à la danse. Les nuages sombres commencèrent à se dissiper, laissant entrevoir un ciel bleu éclatant et les rayons dorés d'un soleil resplendissant. Progressivement, le souffle du vent perdit son ardeur brûlante pour retrouver sa douceur d'antan, apportant un rafraîchissement bienvenu à la contrée.
Le jeune cerf adressa ces mots au vent :
- "Vent des plaines et des forêts, nous n’aimons pas ta furie mais apprend que nous te respecterons toujours quand tu transporteras les graines et que tu feras tourner nos moulins."
Emu, le vent pataud ne sut comment remercier la harde et les colverts. Il prit la décision de leur faire une grosse bise.
Et, enfin, je pus tourner la page.
La future princesse s’essuie le visage encore humidifiée par le filet d'eau qui coule à la pierre de sa modeste demeure. La température s’est rafraichie, un courant d’air doux se glisse de la porte vers la petite fenêtre en bois rongée par les ans. C’est un air enchanté qui siffle un air joyeux à travers la serrure. C’est un filet de bonheur qui passe sous l’ouverture de la maison et qui s’évapore en fous rires d’anges.
Elle sourit, sentant la présence magique des petites fées qui ont réussi leur mission avec brio. C'est comme si elles avaient déployé leur magie pour apporter ce réconfort et cette fraîcheur bienvenue dans sa maison.
- "Les petites fées ont réussi leur mission" se dit-elle.
La princesse ressent une véritable joie. Elle s’autorise enfin une sortie. C'est une envie qu'elle a refoulée pendant si longtemps, la chaleur intense et les souffles brûlants d'air l'avaient gardée captive à l'intérieur. Heureusement, l'assemblée des créatures magiques avait suivi ses conseil et l'intervention de Fèverte avait débarrassé le ciel du feu dévorant et l'air était à nouveau frais et respirable.
Poussant doucement le battant de la porte, la princesse est surprise. Devant elle s'étend un paysage d'un noir profond, mêlé à des teintes blanches poussiéreuses, entrecoupé de nuances de gris. La contrée autrefois vivante et colorée a été ravagée par la chaleur excessive. Les conséquences de la canicule étaient bien plus dévastatrices qu'elle ne l'avait imaginé.
Passée la stupeur de cette vision inattendue elle fait quelques pas pour rejoindre le haut d’une petite colline. Chacun de ses mouvements fait s'enfoncer ses pieds dans la fine poudre grise qui s'envole dans une nuée légère à chaque pas. Animée d'une détermination nouvelle, elle souhaite évaluer l'étendue des dégâts qui ont touché sa contrée bien-aimée.
Arrivée au sommet de la bosse, la princesse décide de se hisser sur la pointe des pieds. Elle ouvre grand les yeux. Du bout de ses pieds jusqu’au plus loin qu’elle put percevoir, elle ne vit rien que des dégradés de gris ponctués de taches crayeuses et d’ombres ténébreuses. Son cœur se serre douloureusement face à ce paysage désolé et sans vie. Le désespoir l'envahit devant l'ampleur de la destruction.
Elle s’accroupit et ferma les paupières. Elle ne voulait pas pleurer, il y avait bien une solution, il y a toujours une solution. Elle eut le souvenir réconfortant de sa grand-mère. Une voix douce lui murmurait de laisser les soucis derrière elle et d'accueillir les rêves prometteurs :
- "Ferme tes yeux sur les soucis ma belle, laisse venir tes beaux rêves, la solution à tes problèmes viendra demain."
Essuyant une larme, elle se relève doucement, faisant demi-tour pour regagner sa demeure. Une fois chez elle, elle prend soin de se laver les pieds couverts de suies noires et de secouer la fine poussière accrochée à sa robe de soie rose. Elle se laisse tomber tout habillée sur son lit. S'enveloppant d'une couverture légère, les yeux fermés, elle se détend et se laisse emporter par le sommeil, enfin prête à explorer la profondeur de ses rêves.
Encore dans ses rêves, la princesse tira la couverture qui couvrait ses pieds. Le froid était entré dans la cabane de pierres sèches mal isolée. La couverture ne suffisait plus à la réchauffer. Un frisson, plus fort qu’un autre, la sortit définitivement de ses rêveries nocturnes. La nuit était tombée depuis quelques heures. On ne voyait rien dans la maisonnette, la nuit sans lune interdisait toute lueur.
Du bout des doigts Princesse tâtonne le dessus de la commode pour retrouver le bougeoir placé là. Une allumette s’enflamme et se dirige vers la mèche de la chandelle abimée par le temps. Le minuscule flambeau glisse vers une autre lampe puis une troisième transmettant la flamme aux bouts de cire des chandeliers répartis dans la pièce. Une odeur d’huile brulée par les lanternes se répand alors dans la maison.
La princesse se couvre d’un gilet de laine épaisse. Son corps frêle se réchauffe doucement. Elle se sert une infusion dans un bol qu’elle serre des deux mains. Elle s’assoit le dos vouté, la tête au dessus du récipient chaud, un coude sur la table. Elle respire de tout ses poumons et se rappelle sa terre brulée. Son cœur s’emballe, elle veut vérifier s’il ne s’agissait pas d’un cauchemar. Elle ingurgite rapidement sa tisane au risque de se bruler. Elle doit vérifier.
Ce n'était pas possible, ses rêves étaient si beaux. Elle y avait retrouvé son ami le lapin, ils avaient discuté ensemble de la manière de reconstruire le nid de la colombe, détruit par la tempête. Avec son aile cassée, elle ne pouvait apporter les ramilles jusqu'à la branche qui avait bercé son enfance. Lapin et la princesse avaient trouvé une solution. Ils l'aideraient à trouver les brindilles pour construire son nid. En suivant les conseils de la colombe, ils construiraient un nouvel abri au sol. Les amis écureuils le monteraient ensuite sur la branche préférée de Colombe et l'y attacheraient solidement. Ainsi, elle pourrait s'y installer en attendant que ses os se ressoudent.
Mais le rêve de Princesse prit fin, interrompu par un froid glacial. Elle quitta son lit et s'approcha de la fenêtre, tenant une chandelle allumée.
La couleur rouge orangé de la flamme de la chandelle se répandait doucement sur le sol blanc immaculé. Les yeux de la Princesse s'adaptèrent à la nuit. La poussière grise de la veille s'était transformée en un tapis de neige étincelant. Dans le ciel, une lumière verte délicate éclairait faiblement l'obscurité. Bien que la Princesse ait déjà contemplé des aurores boréales, celle-ci semblait véritablement magique.
Déjà, de l'herbe d'un vert fluorescent poussait à travers la neige, recouvrant les prairies d'une lueur vive. Le froid grimpa lentement le long de ses jambes, et la Princesse sut qu'il était temps de rentrer à l'intérieur.
Les esprits invisibles travaillaient en harmonie avec les elfes et les génies de la contrée. Lutins, farfadets, anges et divinités de tout poil avaient décidé de lui prêter main-forte pour restaurer la contrée à l'image de celle qu'avait connue sa grand-mère.
Elle referma la porte derrière elle, se saisit d'un bol de tisane chaude. Heureuse, elle ne souhaitait plus se recoucher. Elle voulait attendre les premiers rayons du soleil. Appuyée contre la fenêtre, elle observait le monde invisible à l'œuvre, veillant sur les prairies, les bois et les ruisseaux.
La lumière du grenier pièce s'éteint brusquement. Je venais de tourner la page. Plus une seule lueur par le vasistas de la mansarde. Il fait nuit noire. Je suis entré dans le rêve d'un des personnages de l'ouvrage.
Il est placé le dos tourné à l'orée de la forêt. Devant lui se dessine un paysage agricole qu'il ne connaît pas. L'horizon n'est pas vraiment montagneux, une vallée se dessine en contrebas, elle sillonne dans la trace laissée par la rivière il y a des milliers d'années. Quelques bois épars se répartissent par ci par là. Il n'y a pas de quoi abriter de grands cerfs mais quelques chevrettes et marcassins pourraient s'y réfugier en sécurité.
Une mystérieuse lumière sortie d'on ne sait où dessine dans le ciel une planète de substitution. Lumineuse et attirante, elle est voilée par une brume de couleur mentholée. Tout l'espace est empli d'une odeur semblable à celle que portait le ruisseau enchanteur où venaient se désaltérer les animaux du bois. A la brume se mêlait les vapeurs de plantes aux propriétés médicinales.
Les gouttelettes portées par ce brouillard ont fait leur effet sur mon personnage . Il respire fort. Il ne ronfle pas mais ses narines sont largement ouvertes laissant entrer les parfums rafraîchissants de la nuit. Son rêve est peuplé de personnages inconnus qui discutent bruyamment entre eux.
Au sein de cette foule joyeuse il parvient à distinguer quelques uns de ses ancêtres. Il entrevois sa grand-mère, une femme un peu druidesse, propriétaire d'un lopin de terres agricoles au labour difficile. Il discerne également un solide gaillard soulevant une énorme bûche de bois pour épater les copains, il ressemble trait pour trait à ce qu'il lui reste de souvenir de son grand-père, le bucheron du petit village de la forêt. Il croit reconnaitre un oncle un peu dragueur qui amuse la galerie en contant des blagues sur les fées de la contrée. Il y a aussi le cousin Albert, timide, resté dans son coin pour fabriquer des élixirs d'amour. Il n'osait pas s'en servir et pourtant c'était un être beau et il avait de l'intelligence. Ces figures familières étaient partit trop tôt. Il y avait là son meilleur copain, celui qui avait eu un amour fou pour le vol des oiseaux. Il s'était fait pousser des ailes et s'était envolé sans retour.
Tous les personnages de son rêve ont pris le même chemin, remontant la vallée pour se diriger vers la planète vert-jade étincelante, perle énorme sur l'horizon.
Sa vision s'évanouit peu à peu, laissant place à un sommeil profond.
Le prince résidait dans un château d'une envergure colossale. Il aurait fallu plusieurs dizaines de mains pour énumérer sur leurs doigts le nombre de couloirs, de passages, d'escaliers, de pièces à vivre, de chambres, de cuisines, de donjons et autres cachots qui y avaient été construits. Cette résidence imposante lui était parvenue en héritage d'un aïeul arrogant et retors.
Cet ancêtre, pour ériger ce majestueux édifice, avait exploité les paysans, abusé des dévots, escroqué les marchands et dépouillé les voyageurs de leur bien. Sa méchanceté était notoire.
En dépit de sa nature bienveillante et de son caractère empreint de charité, le prince éprouvait d'énormes difficultés à éradiquer la sinistre réputation laissée par son prédécesseur. Les fermiers, même ceux établis aux confins du domaine, avaient veillé à transmettre, de génération en génération, l'histoire des confiscations, des humiliations et des dépossessions orchestrées par le souverain d'autrefois. De façon résignée, ils léguèrent le peu qui leur restait à leurs héritiers, condamnés eux aussi à travailler pour le prince, perpétuant une relation imposée depuis bien des années. Ces récits, inscrits dans la mémoire des ancêtres et transmis aux descendants, perduraient tel un fardeau indésirable pour le jeune prince.
L'ennui était devenu le compagnon permanent du jeune héritier. La majorité de son temps se déroulait dans les murs confinés de son palais. Chaque tentative de sortie était accueillie par des jets de pierres et des cris remplis d'animosité. Les obstacles semblaient se dresser sur son chemin, l'empêchant d'explorer le monde au-delà de ses murs. Chaque pas était un défi, chaque déplacement limité par les hostilités qui semblaient l'encercler sans relâche.
Face aux températures étouffantes, le prince avait choisi de descendre avec ses sœurs dans la profondeur des caves du château. Dans cet endroit inattendu, une bouffée d'air frais leur procurait un soulagement bienvenu.
Il ne savait pas encore que ces voûtes ancestrales abritaient un recoin qu'il n'avait encore jamais exploré jusqu'à ce jour.
La belle histoire du livre renfermait des pages plus sombres. Laissez-moi vous exposer celle-ci.
Dans ce livre d’illusions et de chimères, depuis que la température s’était radoucie, il y avait, de nombreuses contrées heureuses, sauf une.
Cette province était située pas loin d’ici. Il y vivait un despote qui avait tous les défauts que pouvait contenir l’univers des elfes et des fées. Et pourtant, cet univers n’avait pas beaucoup d’imperfections mais ce souverain avait réussi à toutes les rassembler.
Il avait vu Féverte pleurer et remarqué l’effet de ses sanglots sur la terre. Avec sa grosse tête au cerveau étroit il avait spéculé qu’en faisant pleurer son peuple sa terre serait plus riche et que les plantations seraient plus généreuses. Il imaginait voir pousser des blés gros comme des maïs, des pommiers fournissant des fruits gros comme des ballons, des vignes aux grains de raisins pesant le poids d’une boule de pétanque. Il pensait sournoisement qu’en faisant pleurer son peuple il s’enrichirait.
Ce monarque menait son pays avec une autorité absolue et arbitraire. Même chez lui les gens le craignaient. Vlapout n’avait pas beaucoup de cerveau mais n’était pas sot pour autant. Il décida de ne pas faire pleurer tout de suite toutes les foules de son pays. Il s’en prit d’abord à une province au sol aride fait de craie et de cailloux.
Pour dévaloriser ce petit peuple courageux, il les traitait souvent de craignos. Eux, ils s’en moquaient car il y a bien longtemps qu’ils ne le considéraient plus comme leur maitre. Pour les faire pleurer, il se prit de diverses façons. Il chargea d’abord sa milice de leur tirer les oreilles. Ils crièrent de douleur mais ne pleurèrent pas. Ensuite, il leur fit raconter des histoires tristes. Ils s’en détournèrent pour aller rire et chanter autour d’une guitare. Enfin, il les obligea à éplucher des oignons.
Malgré tout leur courage, ils se mirent à pleurer. Ils pleurèrent, sanglotèrent, larmoyèrent tant et tant que la craie de leur sol fut remplie de leurs larmes.
Mais ce qu’attendait Vlapout ne se produisit pas. Pas de gros raisins, pas de blés géants ni de pommiers gonflés aux hormones. Non, à la place, le sol se mit à produire des fleurs. De petites fleurs au parfum enivrant avaient surgi de la terre en quantité, de grosses fleurs aux couleurs chatoyantes et à l’odeur délicate se répandirent dans les vallées, des muguets blancs couvrirent les sous-bois emplissant l’air de senteurs de printemps, des menthes poivrées et des citronnelles couvrirent les espaces.
Vlapout ne supportait pas les émanations que la nature lui offrait, les bonnes odeurs l’écœurait. Il était le seul à éprouver ça. Le reste des peuples de cet univers, les fées, les elfes, les gnomes, les animaux et les esprits aimaient les parfums de nature. L’odeur couvrit celle des oignons et plus personne n’eut de larmes. Les fleurs, elles, étaient restées.
Vlapout du s’éloigner de la province crayeuse puis fuir la contrée car les odeurs s’étendaient de pays en pays. Il partit si loin qu’aujourd’hui plus personne ne saurait vous dire ce qu’il est devenu.